Ethan Coen – J’ai tué Phil Shapiro (2014, éditions de l’Olivier, collection Replay) édition originale : 1998. Traduit de l’anglais par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso. Titre original : Gates of Eden

par JMC

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Pas d’erreur, Ethan Coen est bien celui auquel vous pensez, le frère de Joel. Auteur de films avant tout... mais pas seulement (même si cet opus unique resté sans suites date de 1998). En se plongeant dans ce recueil, l’habitué du cinéma si particulier du duo de choc (et de leurs films très noirs et à la fois désopilants) ne sera nullement dépaysé, tout au contraire.
Dans chacun de ces 14 textes, on est ici en plein scénario noir sur un mode délirant, souvent la confession de personnages largués, qu’ils soient mal dans leur peau ou dans les ennuis jusqu’au cou, voire au-delà (l’une des caractéristiques des films de la fratrie), types paumés ou englués dans des embrouilles, escroqueries et tromperies en tout genre, à l’instar de leur Big Lebowski (contemporain de ce recueil), et de bien d’autres de la même engeance. De même, une dose certaine de violence, de vulgarité et de sexe en sont les ingrédients majeurs, compensés par un humour et une ironie féroces. Tel le cas de ce (détective) privé, devenu sourd à la suite d’une agression et qui persiste à vouloir recevoir ses clients… dont certains plus handicapés que lui, menant à quelques quiproquos jouissifs qui n’empêchent pas une noirceur absolue du scénario et de sa conclusion (Hector Berlioz, détective privé). De même, dans Cosa Minapolitaine, un apprenti tueur peu doué apprend son métier sur le tas, dans une scène d’une cocasserie digne des Tontons flingueurs de Lautner, Audiard and Co, que l’on préfère ne pas dévoiler. À noter aussi deux textes tout aussi désopilants sous forme de saynètes de théâtre aux dialogues truculents mettant en exergue toute la bêtise humaine, le téléphonique et presque sadique Strictement entre nous, et le très British et pince-sans-rire Accès réservé aux membres.
Bien entendu (comme dans le cinéma des Coen, répètera-t-on), outrance et absurdité des situations dépassent largement le registre crédible pour aborder un comique à la Laurel et Hardy (et donc, souvent cruel et sans concession pour ses personnages). Et comme pour ces deux-là, le rire (jaune, le cas échéant) n’est jamais loin – celui du lecteur, face aux pirouettes et péripéties rocambolesques dont les personnages de Coen ne sortent jamais indemnes. Quant au texte final Le pays d’où je viens, cette chronique d’enfance intimiste (et sans doute authentique) rompt l’unité du recueil et n’y a guère sa place ; un changement de ton radical avec tout ce qui précède, mais on pardonnera à l’auteur cette confession.
Ce dernier texte mis à part, on a là un régal pour les amateurs de noir qui souhaitent sortir des sentiers battus et des scénarios qui se prennent trop au sérieux. Exactement comme dans les films du duo Coen, on vous le redit une dernière fois.