Florence de la Guérivière – Champagne ! (2016, inedits éditions)

par JMC

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In&dits, ça n’est pas un oxymore, mais une nouvelle maison d’éditeur dédiée au texte court (dont la nouvelle), un événement dans un paysage littéraire francophone orienté et exclusif, accordant bien peu d’intérêt à ce genre.
Champagne ! en est l’une des premières parutions, un texte distingué par le prix Albertine Sarrazin, qui entre dans cette catégorie de transition appelée novella (entre nouvelle longue et très court roman), aussi mal connue et mal aimée chez nous que l’est la nouvelle, voire plus encore ? Choix tout aussi aventureux, il traite d’un sujet difficile s’il en est : non pas la mort en tant qu’incident (comme dans le polar qui se respecte) mais les « derniers instants », ceux du Grand Passage, contés par celle-là même qui vit en direct cet événement qui nous concernera tous, sur lequel il s’est tant dit et écrit sans que quiconque ait jamais pu nous le rapporter – on omettra ici les récits de NDE (Expérience de mort imminente).
L’on y vit de façon intime les dernières heures d’une maman en phase terminale, que l’on présume encore très jeune, vu ses enfants en bas âge. Bien trop jeune, assurément, pour « faire ses bagages », comme le dit la longue métaphore ouvrant la novella. Très vite, on se retrouve à l’hôpital, confronté à un corps médical blasé et arrogant, devenu insensible et rigide, et qui en prend pour son grade.
On pense brièvement au film La grande bouffe dans une scène centrale paradoxalement réjouissante, fête irrévérencieuse en plein hôpital et ultime pied de nez à la camarde. L’auteur y flirte avec un humour moins noir que désespéré, « faute de mieux », « foutu pour foutu », alors que le contexte et les convenances sociales tendraient à prohiber à tout prix celui-ci pour conserver une gravité et une dignité « de bon aloi », mais inutile, ou qui ne changerait rien à l’inéluctable. « Alors, si l’on n’y peut rien, pourquoi se priver, et ne pas profiter jusqu’au bout de chaque instant ? » semble-t-elle nous dire. Champagne !
Malgré son irrévérence sur un sujet aussi délicat, le texte reste touchant, comme cette scène désopilante des enfants inconscients du dernier acte se jouant à leur insu, lancés dans une « danse macabre » sur le lit de la mourante. Et il vise juste dans l’analyse des sentiments, à commencer par ceux de la première concernée. Seul le mari, Michaël, pourrait apparaître excessif dans son attitude « négationniste » ( ?) ou son refus obstiné de se plier aux règles sociales, dépassant les bornes et les convenances. Comme s’il s’efforçait de remplacer le chagrin ou son affichage par une impertinence exacerbée, sur-jouée sans doute, mais peut-être nécessaire pour lui, qui sait ? Qui peut dire lequel des deux souffre le plus, lors de cette ultime tête-à-tête ?
La seconde partie bascule dans une « histoire dans l’histoire », conte allégorique aux confins du fantastique, soufflé par Michaël à son épouse comme par pudeur, pour se blinder et leur éviter à eux deux un ultime face-à-face trop dramatique ou des adieux trop déchirants. Ou serait-ce pour une autre raison encore ? On ne livrera pas le final de cette novella sensible, sur un sujet d’une gravité qui n’a d’égale que le talent de l’auteur pour nous en détourner à sa façon, sans rien nous cacher pour autant de son irrémédiable cruauté. Même si les bulles de champagne s’y substituent parfois aux larmes…