RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

Hugh Sheehy– Les Invisibles (2016, Albin Michel / Terres d’Amérique) Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marilou Pierrat

par JMC

Comme Tom Barbash, déjà chroniqué sur notre site, Hugh Sheehynous présente sa vision personnelle (et plutôt sombre) d’une Amérique contemporaine mal dans sa peau. Ses scénarios vont du fait-divers sordide d’« Otages », le plus sanglant, au léger « dérapage »ou accrochage presque insignifiant, maisqui marquera sans doute une existence de son empreinte, comme dans « Une partie de croquet ».
Les portraits sont souvent ceux de jeunes perdus ou en rupture de ban, de l’ado pyromane dans « Après le déluge » à celui de « Un âge difficile » ou de « Histoires à faire peur ». Mais cette jeunesse est à l’image d’une jeunesse désabusée voire d’une Amérique qui se cherche et peine à trouver sa place dans l’univers adulte, ses codes etses contraintes. A contrario, « Henrik le Viking » basculedu réalisme le plus noir d’une fausse-couche à l’allégorie ou au conte onirique et philosophique, d’abord très réaliste dans ses détails, que l’auteur poursuit jusqu’à une douce poésie de l’absurde. Dans tous les cas, le ton très introspectif nous fait vivre en profondeur et de façon intime les questionnements et les doutes de personnages confronté à des soucis parfois presque banals, qui nous touchent malgré tout, par leur sincérité et l’universalité de leur mal-être. À l’exemple du jeune homme d’« Après le déluge », de retour pour Noël pour le traditionnel repas en famille, pris dans les intempéries et les congères et détourné de sa route pour un sauvetage improvisé en bord d’autoroute, avant une autre rencontre. Dans tous les textes, le réalisme de la situation et des sentiments exposés sonne juste et vrai, compensant le manque d’action véritable.
On retrouveraaussi dans la plupart des textes cette habitude anglo-saxonne déconcertante de scénarios sans chute ni révélation finale, qui s’arrêtent comme si d’avoir planté une ambiance suffisait à l’auteur en tant qu’objectif à atteindre. Certains films français dits « d’auteur » usent du même procédé de « dilution » ou d’arrêt brutal d’un récit « bien lancé » mais dans un texte court, cela surprend et, parfois, frustre et déçoit, comme nous privant d’un final digne de ce nom – ou de nos attentes. C’est le cas de « Variations sur le même thème » qui clôture le recueil et promettait un thriller bien plus haletant que ce que nous offre un final très peu explicite, au mystère demeuré entier, tant sur les motivations de la jeune femme en fuite que sur l’avenir d’une rencontre très brève. Sans oublier la ressemblance troublante de la jeune femme avec l’amie décédée par noyade, détail intrigant qui confèreà tout le récit un vague écho de fantastique ou d’irréalité brumeuse, d’un irrationnel véritable ou juste suggéré.
Mais, comme on l’a déjà souligné au sujet d’autres auteursde cette collection « Terres d’Amérique », dont ce serait une signature récurrente (?) : Peut-être, au final, la vie elle-même est-elle ainsi ; tout ce qui plaît s’écoule toujours trop vite et finit trop tôt ?