Critique : Bernard Quiriny – « Contes carnivores » (2008, Albin Michel)

(actualisé le )

Bernard Quiriny, jeune auteur belge né en 1978, n’en est pas à son premier recueil. Et qu’il ait été publié à 30 ans chez un grand éditeur fut sans doute une vraie performance... pour un recueil de nouvelles... et pour un (relativement) jeune auteur ! Qui plus est, francophone, un handicap toujours aussi difficile à vaincre en francophonie, pour publier des nouvelles.
Les contes de cet ouvrage sont tous quelque peu déstabilisants pour le lecteur, vu les chemins de traverse que prennent ses scénarios tarabiscotés. Et tout autant par son style somme toute assez littéraire, au sens « classique » du terme, voire épistolaire à l’occasion, qu’il a emprunté à un siècle passé – voire deux ? Un style nullement dérangeant, tout au contraire, mais comme en contradiction – assumée – avec le style plus « jeune » et branché habituel à la plupart des (jeunes) auteurs et romanciers dits « contemporains », disons actuels.
Ses nouvelles font la part belle à l’absurde (Marées noires, Quiproquopolis, Chroniques musicales d’Europe ou d’ailleurs), à un étrange mâtiné de surréalisme (L’oiseau rare), voire, pour illustrer son goût marqué pour le passé, à un surnaturel abordant de plain-pied le fantastique à la Maupassant ou à la Edgar Poe (Sanguine, L’épiscopat d’Argentine). Sans oublier la fausse enquête sans surprise, ambiance hard boiled à la Conan Doyle, de Conte carnivore, un texte dont l’exotisme tient avant tout à l’étrangeté botanique au centre d’un faux mystère épistolaire à peine entretenu car, là aussi, largement éventé. Et avec, toujours, cette petite touche de légèreté ou d’humour pince-sans-rire.
L’auteur accorde un soin absolu au style et à l’ambiance, un peu datés et compassés, quitte à négliger délibérément la notion de chute très habituelle à la nouvelle (tout au moins dans sa définition francophone), conférant à l’ensemble des textes de ce recueil une sorte de goût d’inachevé, de final désinvolte et de dilettantisme assumé ; de vague déception, donc, selon l’importance que le lecteur accordera à se voir offrir un final surprenant, après s’être plongé avec délices dans l’un de ses univers décalés et parfois complexes. Goût marqué aussi pour l’ethnographie et l’exotisme, mais un exotisme ancien et comme désuet là aussi, « vingtième siècle », voire intemporel, comme le sont la plupart de ses personnages et de ses scénarios issus d’un passé à une, voire deux générations en arrière de la nôtre. Alors, hommage « à la manière de », ou style personnel et bien à lui ? Comme pour un bon imitateur dont au final, on ne connaît jamais la « vraie » voix (celle de sa naissance ou, ici, de sa plume), on saurait difficilement le dire. Mais peu importe (le flacon...), au final, tant qu’on a l’ivresse.
Le bémol, on le répète, est cet art touchant au génie narratif et cette créativité débridée que l’auteur développe dans la mise en scène de scénarios alambiqués ; tout cela pour laisser systématiquement son histoire « en plan » sur un final sans surprise ni relief, presque plat. Une forme de paresse, dirait-on, de négligence ou de désintérêt désinvolte pour l’idée de conclure en beauté ce qui le méritait, d’être à la hauteur des espoirs soulevés. Dommage.