- Illustration : Corine Sylvia Congiu - 2014
Ô Dieu des jeunes filles pas trop moches, merci d’avoir compris que le temps de février était un supplice suffisant pour cette journée. Sur le quai j’entends chuchoter près de moi, mais pas pour moi. Un clodo et son fils, celui que je suppose être son fils : excitation, coups de coude, air entendu, soyez plus discrets on a bien compris votre petit manège en tout cas moi j’ai compris. J’ai l’habitude alors j’ai compris. Seulement aujourd’hui ce n’est pas pour moi. Collants en laine, brushing anéanti par la pluie, sac Adidas qui tape au cul est-ce que j’ai un gros cul ? Mon cul ! Je suis disqualifiée. Mes remerciements au Saint Patron des charmantes demoiselles dont le père est un chapardeur il a volé toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans tes yeux. Le manque de subtilité des techniques d’approche me sera donc épargné. Ô jour béni ! Sauf en ce qui concerne la météo on t’a dit.
Soulagée mais curieuse, je cherche l’autre. Elle. Celle qu’on admire quand je suis transparente. Celle-ci. Sûrement pas moi. Celle-là. Une fille à papa aux jambes d’anorexique, me dis-je, rien de très excitant. Cliché de belle gosse. Corps calibré pour photos de magazine. Si l’on me demandait mon avis, je dirais et que cela reste entre nous ou pas peu m’importe je dirais que c’est bien moins bandant qu’une peau douce. Trente-quatre calleux contre quarante-deux tout doux, si l’on me demandait mon avis elle ne ferait pas le poids. Mais on ne me demande pas mon avis. Lui dit, mon cher et tendre dit, bien qu’on ne lui demande pas son avis non plus me direz-vous, lui dit que je suis toute douce. La plus belle des filles qu’il connaisse. Si je le crois ? Bien sûr que non. Le jean Kookaï accuse mes cuisses, la vendeuse de la parapharmacie balance ma peau à problèmes, le test du crayon cafte j’ai les seins qui tombent. Alors évidemment que je ne le crois pas. Je démens. La plus belle c’est elle. LA PLUS BELLE MAINTENANT C’EST ELLE. Mal au corps J’A-mal au cœur-LOUSE je fuis. J’attends que les deux imbéciles montent dans une rame pour en choisir une autre. Je fuis mais il est encore là, ce foutu malaise, et Elle aussi.
Dans le compartiment que j’ai choisi qu’elle a choisi aussi je suis debout comme toujours. Appuyée contre l’accoudoir d’un siège, j’essaie de me donner peine perdue un peu de tenue. Je me trémousse rajuste ma veste mon sac ma mèche ma jupe ma veste ma mèche mon sac mais je ne ressemble à rien. Laisse tomber quand je remarque les genoux qui se tiennent face à moi. Ses genoux petites billes d’os qui se tiennent face à moi.
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Les jambes fines à l’extrême sont teintées de noir, collants ou bas, certainement des bas, quoique plus joli que des bas mais collants ou bas mes jambes jambons ne tiennent pas la comparaison. Ce qui la tient debout, voyez-vous, ce sont deux rubans de satin noir. Fins délicats élégants. Collants ou bas assez transparents pour que l’on voie sa peau désir. D’aussi fins je les file toujours convoitise. Mon regard descend, une paire de bottines basses à talons, comme c’est la mode actuellement. Évidemment. Un coup d’œil à son visage, c’est bien elle, la fille du Vieux Lille, habillée chez Comptoir des Cotonniers par maman, qui attire les regards de l’homme lambda. Nos regards se croisent. Je redescends aux genoux, je n’en ai jamais eu de pareils jalousie. Puis remonte vers la taille. Rien sous son manteau, on dirait qu’elle n’a rien sous son manteau, impossible qu’elle n’ait rien sous son manteau. Le short est si court ! Il faut le chercher. Entre les deux pans de son caban qui s’entrouvrent il faut le chercher ce short si court qu’on croirait qu’elle n’a rien sous son manteau. Couvre-toi-tu-vasattraper-du-mal. Princesse du métro qui ne craint pas le froid. Reine des transports en commun qui ne craint pas la pluie. Déesse bonasse au royaume des mortels disgracieux n’as-tu pas subi cette pluie comme nous tous ? Les gouttes n’ont pas osé te décoiffer, tu volais au-dessus des flaques ? On l’aura déposée voilà tout ! Petite naïve, j’avais oublié que les filles comme toi pas comme moi les filles comme toi n’ont pas besoin de parapluie. On les conduit Prince Porsche Charmant au pied de la gare où les deux lignes de métro se rejoignent. Les filles comme toi je ne les aime pas. Je les regarde et je pense à moi. Je les regarde et je me vois. Les filles comme toi je ne m’aime pas. Les filles comme toi, toi, elle, elle me regarde, c’est la deuxième fois. Je souris et ses dents blanches - ses dents plus blanches que - me répondent.
Entre le moment où j’essaie de et celui où je parviens avec peine à. Déglutir ma haine. Digérer la jalousie. Je m’étonne quand même de ce short porté sur des collants. A-t-elle demandé jeune fille dans le rang le feu vert de Glamour Elle Cosmo Biba Grazia Be Jalouse Muteen ? Haute autorité de rien du tout, je n’approuve pas. Autoanalyse sommaire je ne suis que dépit quand sur mon trente-et-un tout le monde le dit personne ne sait pourquoi je ne te ferais point d’ombre même si tu portais sac à patates. Alors je n’approuve pas j’éprouve. Une marinière, j’aurais dû m’en douter. La mienne, je l’ai piquée dans le placard de maman ; la tienne, tu l’as achetée hier pour qu’elle tienne compagnie aux dix autres. Elle referme son manteau. Le manteau dont on dirait qu’elle n’a rien en dessous mais si mais non mais si elle a quelque chose en dessous mais on ne dirait pas. Je me demande m’aurait-elle remarquée ? Je me questionne et la seule réponse qui me vient est réflexe sourire il faut toujours quand on ne sait pas. Cela ne vous rend pas plus intelligente, mais c’est plus agréable pour ceux qui vous regardent. Sourire encore, j’essaie de faire celle qui regardait là comme elle aurait pu regarder ailleurs. Je suis tout excusée, disent ses dents blanches plus blanches que.
Le manteau confer supra est très bien coupé. La marque n’est pas apparente, mais on se doute qu’il ne vient pas de chez H&M -50% sur une sélection de pulls de saison. Épais, lourd, il la sculpte. Statue hypnotisante, je ne peux en détourner mon regard. Cette chétive, comme soutenue par son caban, porte la tête haute. Alors je remarque sa coiffure, comme d’un autre temps. Un chignon peutêtre, un chignon je crois, un chignon je devine même si face à elle je ne peux qu’apercevoir une grosse mèche, domptée, qui ne s’aventurerait sous aucun prétexte sur son front. Comme pour dire : je ne suis pas comme vous. Et j’entends : je vaux mieux que toi. Cette fois-ci c’est elle qui me regarde, je la fixe dans les yeux un moment, qu’essaie-t-elle de me faire comprendre ? Elle change son sac de main je n’aime pas les sacs à main, mais si je les aimais, j’aurais le même que le sien ; elle agite ses bracelets je n’aime pas les bijoux, mais si je les aimais, j’aurais les mêmes que les siens ; piétine des bottines je n’aime pas les talons, mais si je les aimais, j’aurais les mêmes bottines qu’elle. On dirait que la perfection se fait la malle, je décode : pressée gênée elle descendra prochain arrêt.
Respirer devient un effort. Paralysie. Intérieure. Organes. De marbre. Réflexion. Parasitée. Émotions. Envahissantes. Nerfs. Sifflants. Aigu déconnexion sauvez-moi de la brûlure l’asphyxie la perte de connaissance la noyade ma vision d’idéal s’échappe. J’anticipe le manque ma jolie demoiselle ma mieux que moi mon miroir déformant mon support à envies mon réceptacle à fantasmes. Je descends avec elle. La prend en filature pour percer le secret du pourquoi elle et pas moi pourquoi elle mieux que moi. Imagination contenue qui ne demande qu’à déborder. Est-ce ce qu’elle boit, mange, achète, lit ? Est-ce qui elle fréquente, baise, évite ? Est-ce où elle vit, marche, court, s’arrête ? Maintenant elle entre dans une boulangerie qui ah tiens vend des Carambars au goût Barbe à Papa et achète un pain aux céréales. C’est tout. J’achète un pain aux céréales. C’est tout. Je tire un trait sur mes lèvres toujours sucrées. Je l’imagine bobo bio nota bene ne pas manger trop gras trop sucré trop salé. Maintenant elle se dirige bibliothèque municipale. Petite conne tu libères culpabilité ce Gombrich oublié sur ma table de nuit. Dans les rayons je la suis. Dans ses traces de pas invisibles j’espère comprendre ce que peuvent être ses journées. Impossible que tu sois vendeuse, toi. Tu fais autre chose qu’augmenter le découvert des autres pour réduire le tien, toi. Peut-être même que tu ne travailles pas, toi. Ou bien juste assez pour t’offrir l’essentiel, tu connais assez de gens pour te faire offrir le superflu, toi. Tu as un abonnement au théâtre et à l’opéra, toi. Chaque jour tu lis Libé. Chaque semaine les Inrocks. Tu vas boire le thé avec tes amies, au cinéma avec tes amants, aux expos seule pour faire de nouvelles rencontres. Tu ne passes pas ton temps à acheter nouveauté offre spéciale promotion client privilégié carte de fidélité réductions avantages. Tes objets sont précieux car cohérents avec toi. Toi toi toi qui ne me vois pas, même si je suis juste là, derrière toi. Je rêve ma vie près de toi avec toi en toi et tout m’apparaît clairement. Comme si l’imaginaire frôlait la réalité, je vois déjà ce que c’est d’être comme toi. D’être mieux que moi. Tu te tournes et tu ne me vois pas, je ne suis pourtant qu’à deux pas de toi. Quand tu quittes la bibliothèque, je descends chaque marche au même rythme que toi. Je tourne du même côté. Fais les mêmes écarts. Connais ta trajectoire.
Soudain trottoir extérieur jour tu t’arrêtes sans raison. Je ne comprends pas. Trop absorbée par mes pensées d’être toi je n’entends pas. Perdue dans le reflet du miroir d’idéal que tu es je n’entends pas. Excuse-moi mademoiselle, t’es charmante, ça t’dirait une glace à la menthe ? Sa bouche reste close silence. Je la fixe en attendant que ses lèvres remuent silence. Elle ne semble pas voir celui qui s’adresse à elle silence. Quand soudain elle comprend je comprends. Il n’y a que
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Vos commentaires
# Le 4 février 2015 à 05:07, par Lui En réponse à : Métro Miroir
un véritable plaisir de te lire.