Compagnie K Est-il un recueil de nouvelles ? Un roman ? Oui et non, et oui ou non pour les deux options, chacun décidera. L’auteur, William March (1893-1954) est un vétéran de 14-18, à qui il a fallu dix ans pour accoucher de ce livre publié en 1933 : la guerre 14-18 par la voix d’une compagnie envoyée sur le front en 1917 (un écho à peine romancé, peut-on penser, de ce que l’auteur a vu ou vécu ou entendu raconter en France).
Le texte est structuré en 113 saynètes brèves d’une à deux pages, rarement plus, ayant pour seul titre les nom et grade du soldat ou de l’officier qui s’exprime. Chronologiques, certaines ont un statut de nouvelle autonome tandis que d’autres se font écho l’une à l’autre, éclairant un même fait d’un point de vue parfois très différent ; par exemple illustrant le fossé entre officier et simple soldat (à peu près le même que dans notre Armée à cette époque). L’on y conte les horreurs mais aussi la vie quotidienne de la Grande Guerre vécue par les membres de la compagnie. Le récit commence aux USA par les adieux pleins d’espoir à l’épouse, puis le navire qui les mène vers la vieille Europe, etc. mais, une fois sur le front, les scènes se font forcément bien plus dramatiques, horreur absolue, abjection et haine féroce du « Boche » y côtoient désillusions ou fatalisme avec, ici et là, quelques touches d’humanité ou de poésie qui parviennent à pousser jusque dans la boue et sous la mitraille. Comme chez les Poilus français, la désertion, réelle ou due à un simple malentendu, y a aussi droit au chapitre. La puissance narrative et l’impact des scènes diminuent certes un peu lorsque, vers les deux-tiers du roman/recueil, intervient la fin du conflit mondial, mais s’annoncent de nouvelles difficultés pour les vétérans, lors de leur retour parfois difficile à une vie « normale », c’est-à-dire civile, entre l’oubli nécessaire et son impossibilité.
Ce chef-d’œuvre méconnu (il a fallu attendre sa traduction 80 ans) offre un point de vue un peu différent (des belligérants d’outre atlantique, volontaires pour défendre une terre qui n’est pas la leur), qui vient s’ajouter aux grands classiques sur le même sujet, depuis A l’ouest, rien de nouveau de Heinrich Maria Remarque aux auteurs français, tel Le feu d’Henri Barbusse (Goncourt 1916), les Croix de Bois de Roland Dorgelès et quelques autres. Mais pas tant que ça tout compte fait, vu la nécessité absolue du souvenir pour les générations futures (du moins celles qui liront encore...)