Bernard Comment a obtenu le prix Goncourt de la nouvelle 2011 pour un recueil de neuf textes à la tonalité sombre, allant du compte rendu intimiste au fait-divers a priori banal mais qui fait toujours mouche par sa manière de restituer les ambiances et les tourments de ses personnages. Nulle légèreté ici,en effet, les amateurs de chroniques provinciales sympathiques ou rafraîchissantes en seront donc pour leurs frais car les personnages sont souvent grinçants ou inquiets, désabusés ou cyniques. Tel ce veuf qui prépare un sale tour à ses enfants et petits-enfants (qu’il n’aime même pas, ni ne hait, d’ailleurs) qu’il privera à leur insu et presque à leur barbe de tout héritage, par une étrange opération de « placement financier » ourdie durant toute une vie. Sordide assurément, une ambiance très glauque de pourrissement dans les relations familiales et intergénérationnelles ... mais jouissif en tant que nouvelle très noire.
De même ce vieil écrivain renommé, en fin de carrière et de vie et qui, ultime pirouette, recrée des brouillons corrigés de ses œuvres pour les revendre « au plus offrant » (donc, pas en France !), au grand désarroi d’un journaliste admirateur du grand homme et de ses textes et qui attendait en retour la primeur et les « bonnes feuilles » de son dernier roman.
Autre hommage superbe au livre-objet, ce vieil homme centenaire, enfermé dans une médiathèque (livres numériques seulement, à consulter sur écran) du fait d’une panne générale de courant, et qui confie et tente d’expliquer son amour des livres à une jeune femme qui n’en lit plus depuis bien longtemps.
Comme ce vieil homme, ses héros tous sont en fin de vie ou en « fin d’un cycle ». Le gardien d’épave fêlé, l’entraîneur de foot désabusé, tous cherchent quelque chose ou se cherchent eux-mêmes ; en tout cas, ils ne sont pas (ou ne se sentent plus) tout à fait à leur place dans leur monde ; et là est sans doute ce qui donne la noirceur générale du recueil.
Similaire pas certains aspects à celui d’Alain Emery chroniqué dans nos colonnes, Bernard Comment signe donc un recueil sombre, bien que ne se rattachant pas vraiment au genre « noir ». Sans concession aussi, avec une immersion toujours lente et progressive dans ses récits, demandant un certain effort au lecteur. Certains textes sont difficiles d’accès, de plus en plus même au fil du recueil, car les univers et scénarios s’éloignent parfois de la réalité quotidienne pour aborder des univers subtilement parallèles ou décalés, aux frontières du fantastique ou de l’anticipation, telle l’épave insolite du gardien, ou cette médiathèque du futur... mais un futur plus proche qu’on pense, car le livre numérique est déjà là, sur nos écrans.
En bref, ce recueil n’est surtout pas un « livre de plage » pour se délasser ; les sujets créent parfois le malaise, grattant et tournant le couteau là où ça fait mal (famille, ou société en déliquescence), mais avec une écriture superbement maîtrisée. Un Goncourt mérité.
Bernard Comment – Tout passe (2011, Christian Bourgeois)