Chronique de : Folie(s), 18 textes échappés de l’asile (2014, Editions des Artistes Fous), 15 euro.

(actualisé le ) par JMC

Folie(s) est la troisième anthologie des Artistes Fous associés. Et le sujet en est à nouveau original et alléchant, un peu déjanté aussi, comme toujours aux Editions des Artistes Fous, un peu hors normes et underground, même si le monde de l’imaginaire nous a déjà concocté pas mal de thématiques originales.
A propos, cette superbe anthologie tient-elle des littératures de l’imaginaire ? La question se pose pour ce sujet multiforme et son traitement par les 18 auteurs du projet mais, comme pour l’œuvre de Stephen King par exemple, le spectre thématique est vaste et rend impossible toute étiquette définitive. Entre noir, fantastique, horreur, délire onirique voire science-fiction pure et dure, le champ couvert est vaste au(x) pays du dérapage mental.
L’objet est vraiment superbe et de très bonne tenue (une mention spéciale pour l’illustration de couverture tout en noirceur, digne de la défunte collection gore des années 70/80 du Fleuve Noir, donnant le ton d’une partie des textes). Le livre est dense, lourd en main ; au final une très bonne affaire au kilo de délire mental. Le texte imprimé manque juste un peu de densité sur le noir, sans doute dû à un encrage ou à une police un peu fine et délicate, manquant de corps. En contrepartie, le soin extrême apporté aux détails intérieurs est digne d’un livre d’art (chaque texte est superbement illustré et qui plus est, agrémenté ici et là de dessins, icones et vignettes en noir et blanc) avec une mise en page et une présentation intérieure très soignées et très originales, jusque pour les bios auteurs en fin d’ouvrage.
Les textes ? On ne peut les aimer tous de la même façon, et il est difficile de les évoquer un à un, mais tous sont de bonne tenue, et respectent le cahier des charges dérangé imposé aux auteurs. Origine, ou conséquences de la folie déjà à l’œuvre dans une cervelle ? Les points de vue sont variés. Il y manquerait peut-être le point de vue médical et psychiatrique de l’affaire, bizarrement peu abordé par les auteurs, mais tout le reste y est, du gentiment foutraque au fou furieux. Suspense hallucinant dans « Nuit blanche » jouant à fond sur le dérèglement mental brouillant toutes les pistes pour masquer un renversement inattendu, un « Cauchemars » digne d’univers à la Lovecraft ou d’une toile de Dali, la farce paysanne très noire et totalement déjantée de « Jour gras » (fusion jouissive de gore et d’un portrait au vitriol de rednecks « bien de chez nous »), noirceur absolue, assez gore à nouveau, mais post-apocalyptique de « Sanguines », un autre sujet à tendance « post-apo » mais plus contemporain et hyper réaliste avec « C-15 » (qui vous dégoûtera à jamais de toute idée de séjour aux States), « La convenance de la bête », ou comment une simple serrure de toilettes bloquée va débusquer la bête qui sommeille en vous (un parallèle possible avec le fameux « Horla », de Maupassant), confrontations mère-enfant sensibles et prenantes dans un « Coccinelles » tout en ellipses délicates comme l’est l’amour maternel, et dans « La maman de Martin », bien plus sanglant et radical, huis-clos SF spatial étouffant dans la novella « Europe » avec quelques clins d’œil au film Alien (mais peut-être un peu longue ?), introspection assez hermétique (donc folle aux yeux du sage ?) dans le « Décalage », parcours imposé et subi dans la peau d’un serial sexeur sans tabou ni limites, dans le très transgressif et fantasmatique « Les soupirs du voyeur », il y en a pour tous les fous.
En bref, cette anthologie est une mine d’or (à dévorer quand même avec modération, et en gardant de préférence la veilleuse allumée, vu le risque pour vos neurones !). Et l’objet-livre, magnifiquement réalisé et illustré avec son lot d’enluminures contemporaines glissées ici et là comme autant de surprises, vaut le déplacement à lui seul.