Thierry RADIÈRE – À un moment donné éditions TARMAC – 102 pages – 11 €

par BN

C’est la troisième fois que nous consacrons une chronique à Thierry RADIÈRE dont nous avons accompagné les premiers pas dans le domaine de la nouvelle et nous ne le regrettons pas, car il se bonifie de recueil en recueil et surtout se rapproche de plus en plus de ce que l’on appelle vraiment des nouvelles, avec une trame narrative solide, des personnages au caractère bien défini dont les particularités, loin d’être gratuites, font avancer l’intrigue, même quand justement, il semble n’y avoir pas ou peu d’intrigue, et une réflexion sous-jacente qui élève les textes au-dessus de l’anecdotique pur.
L’auteur a choisi de prendre en cible les moments où, dans une vie jusque-là banale, tout bascule ou peut basculer. L’Intersection, qui ouvre le recueil, est très significative à cet égard : un automobiliste un peu distrait renverse une vieille dame à bicyclette, celle-ci n’a miraculeusement pas grand-chose et minimise ses égratignures, mais l’homme ne se pardonne pas cet instant de distraction qui aurait pu coûter la vie à la vieille dame et remet en cause tout à coup son rapport à l’automobile, sa manière de conduire, et plus généralement sa manière d’être, sa manière d’envisager la vie. C’est très bien fait, très subtil, très intelligent mais jamais didactique. De même, on est accroché dès le début par L’Océan : un jeune garçon se baigne sur la plage de Biscarrosse avec sa sœur et laisse celle-ci, inconsciente du danger, dériver peu à peu vers le large. Il ne l’appelle pas, ne la met pas en garde mais au contraire regagne le sable et regarde, pétrifié, le drame se nouer, sans même alerter les adultes présents. Quelle force le retient, rivé au sable dans lequel il s’enterre peu à peu ? Et ainsi de suite. Presque tous les personnages pourraient faire leur cette phrase extraite de À table : « Nous restons assis à attendre que quelque chose se produise ». Dans la dernière nouvelle, L’Ascenseur, c’est un peu différent : un homme, qui ne jure que par les livres de Jean-Paul Dubois et ne voit la réalité qu’à travers eux, se retrouve coincé dans un ascenseur en panne avec un ado qui s’affole, hurle, tape dans les parois, piétine son portable muet pour cause de batterie défaillante, débite des obscénités… Le narrateur ne s’énerve pas, demande au jeune pour le distraire de lui raconter son plus beau souvenir et l’écoute en omettant de lui dire que son plus beau souvenir à lui est littéraire, c’est un livre de Jean-Paul Dubois qui raconte justement un accident d’ascenseur qui finit tragiquement. Dans la réalité, tout finit bien, l’ascenseur redémarre et les deux protagonistes se séparent mais quelque chose a changé, pour l’un comme pour l’autre.
À un moment donné est un beau livre qui, sous couvert de fiction, nous amène avec délicatesse à nous interroger sur la vie et la mort. Comme le dit l’auteur : « À un moment donné, la prise de conscience de l’importance de la vie est une histoire à raconter. » Que l’on soit plus sensible à l’histoire ou à la réflexion qu’elle entraîne, ou les deux à la fois, on ne peut que saluer cette réussite.