RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

Statut de la nouvelle Partie #4 - Interview de Florence Petry, responsable des éditions La Chambre d’échos Propos recueillis par Corine Sylvia Congiu

Nouvelle Donne :

Bonjour Florence, comment vous êtes-vous éveillée à la nouvelle ? et comment la Chambre d’échos s’y est-elle engagée ?

Florence Petry :

Nos histoires de lecteur sont celles de nos émotions fortes. Pour moi et pour ce qui est de la nouvelle, ce furent, chronologiquement et assez classiquement, Tchékov, Edith Wharton, Carson Mac Cullers, Le Clézio, Carver, Grace Paley. Mais il y a eu un moment fondateur. Dans les lointaines années 80 m’est advenue l’expérience, grâce à Françoise Pasquier des Editions Tierce, de me voir confier la (re)traduction du premier recueil en France d’Alice Munro. A cause d’elle j’ai bien failli devenir traductrice. Et j’ai accédé autrement à la nouvelle, j’ai été vraiment initiée.

Il y a 20 ans nous ouvrions, Jean-Louis Ughetto, Jean-Michel Humeau et moi, à titre expérimental au début et à côté de nos activités professionnelles respectives, La Chambre d’échos (avec un s). Un homme du son, un homme de l’image, une femme et deux hommes de l’écrit. Je suggère au passage que la nouvelle, peut-être plus que le roman, a quelque chose à voir avec le son et l’image, l’appel aux sens. Il y a quelque temps j’ai rencontré, au hasard d’une émission de radio, une définition de la lecture qui me convenait, Philippe Val qui disait (après la sortie de son livre Tu finiras clochard comme ton Zola...) : « Un bon livre, c’est un livre qui vous modifie ». C’est vrai aussi d’une bonne nouvelle, même si cela se passe discrètement. La nouvelle, elle aussi, autant que le roman, a un pouvoir.

Parmi 72 titres publiés à ce jour, 23 recueils de nouvelles. Près du tiers. Ce sont incontestablement Jean-Pierre Rochat et son ancrage terrien, Adam Biro et son style inimitable, que je lis, moi, avec l’accent, Jean-Louis Ughetto et son incroyable sens de l’ellipse, qui nous ont portés. La gageure étant de survivre. Nous avons été vraiment aidés par les revues : Brèves, Nouvelle Donne, Décharge, Verso... Au début, nous pouvions encore nous appuyer sur nos premiers diffuseurs, Bernard Francès, puis Marjolaine Hémery, qui nous offraient le même travail de présentation en librairie pour les nouvelles que pour les autres titres. Après eux nous n’avons jamais retrouvé ça. Inutile de dire qu’il y a souvent eu du déficit dans l’air. Jean-Louis comblait en louant son matériel professionnel sur des tournages ; Jean-Michel et moi en faisant des chantiers du bâtiment les week-ends et pendant les vacances à côté de nos professions respectives de la semaine.

En déroulant la lecture du recueil d’un nouvel auteur on rentre dans sa vie ou son rapport à la vie autant qu’en plusieurs romans d’une œuvre. Dans l’afflux de manuscrits qui nous parviennent, si on laisse les recueils qui vous tombent des mains et pour n’évoquer que ceux qui vous happent, on connait l’allégresse, la plongée en eaux profondes, le pas de randonnée, le sentiment d’oppression. On est au bord de vies proches, familières, ou entrevues, ou de moments vécus soi-même. La nouvelle : lieu de l’intime.

A vrai dire, il y aurait un recueil (de nouvelles) à faire avec les histoires de l’édition de chacun de nos recueils publiés. Rochat, il avait envoyé son premier recueil aux éditions Recherches, à l’époque animées par un collectif, le Cerfi, dont je faisais partie, juste au moment où elles cessaient de publier pour de nombreuses années. 20 ans plus tard, nous avons cherché son téléphone en Suisse, l’avons appelé, il a répondu, imperturbable, que le recueil et quelques nouvelles complémentaires étaient au grenier, un peu rongés, où ils attendaient. Jean-Louis et Jean-Michel sont partis à Vauffelin.
Erika Magdalenski écrivait comme on rêve, elle a disparu de notre champ de vision peu après la publication des 21 histoires d’amour délicates. Joelle Basso (Chiens de faïence) était la sobriété même, avec elle on frôle le secret à chaque instant. Rochat réapparaissait physiquement à chaque recueil, blanchi, lesté d’une tranche de vie nouvelle. Là il est passé sous une charrette qui lui a broyé quelques os. Là il a eu de nouveaux animaux, qui lui en rappellent d’autres. Là il évoque ses 20 ans pas sages. Jean-Louis passe d’évocation de tournages en virées risquées sur 3 continents, sobre en mots, pas dans la vie évoquée. Adam écrit comme il respire. Sarah Bouyain (Métisse façon) plonge dans ses racines et venge sa grand-mère. Karim Lahoucine tente de résister à l’exil dans un Paris inamical, il repartira au Maroc, nous laissant le témoignage d’une jeunesse marocaine écrasée de misère (Un rêve plus grand que son âge). Jean-Louis nous donne cinq recueils sous-titrés successivement Escales, Suites, Rechutes, Séquelles, Anicroches. Understatements [1]. Puis il nous quitte sans retour. En 2020 Nouvelle Donne met à l’épreuve son statut de collectif pour produire un premier recueil-manifeste.

Le lecteur, avec la nouvelle, est mis à l’épreuve. A chaque texte, dans un recueil, il est au pied du mur, non ?

Ce qui me touche dans les nouvelles, imprégnées d’expériences personnelles, c’est qu’elles sont frémissantes de vie. La nouvelle, certes construite et rythmée, n’entreprend pas la démarche d’une construction littéraire charpentée comme l’exige le roman, ni progressive. Ce n’est pas le propos de l’auteur : il est pressé. Ce qu’il donne, ce qu’il donne à lire, c’est du vécu intense, secret, partageable seulement par l’écrit. Une part personnelle de vérité d’un moment, d’une passe, et l’urgence de la communiquer.
A la nouvelle, donc, un lectorat particulièrement disponible, un peu acrobate, un peu aventurier. Mais je ne crois pas que le monde de la nouvelle soit impossible à faire apprécier en France. Ce qui est problématique, c’est de faire connaître de nouveaux auteurs, romans, récits, nouvelles si l’on est, de plus, petit éditeur indépendant sans attaché de presse, ni roulements de tambour.
Il y a toutefois des conditions plus favorables. Un recueil doit avoir une porte d’accès. Le nom de l’auteur en est une, s’il a ses lecteurs. Mais il faut que les nouvelles se regroupent auprès d’un thème, un lieu, une atmosphère, une époque. Sinon c’est une maison sans porte ! Il est plus facile de lancer en librairie Métisse façon (S.B) ou Voyageurs éblouis (Milena Hirsch), ou La ville aux maisons qui penchent, suites nantaises (M.-H. Prouteau) que Indécis soit-il, d’Ughetto ou Chiens de faïence. Notons que le lecteur d’un salon, porté par l’étendue de l’offre de titres, est souvent plus curieux, en ce qui concerne la nouvelle, que celui de la librairie. Et que les très nombreux auteurs de nouvelles sont... de grands lecteurs de nouvelles.
Une conclusion ?
Ce que j’aime dans la nouvelle, - je parle là plutôt de la nouvelle courte, de quelques pages ou un peu plus - c’est que chacune est un pari. Lancer l’atmosphère, le lieu, l’action, le - les personnages, toucher le lecteur au cœur, l’embarquer. Ne pas ou à peine conclure, et l’histoire continue à vibrer....
Qui ouvrira une librairie de la nouvelle ? Des sections de nouvelles dans les librairies existantes ? Une émission qui lui sera consacrée ?

Propos recueillis par Corine Sylvia Congiu en décembre 2021

Note : Philippe Val, Tu finiras clochard comme ton Zola, éditions de l’Observatoire, 1019.

Notes

[1Euphémismes