RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

Regarder le lion dans les yeux – Marie-Christine QUENTIN Editions L’Harmattan, collection Nouvelles nouvelles, janvier 2024 - 14€

par Jean-Yves Robichon

Qu’ont-elles de si touchant, les nouvelles de Marie-Christine Quentin ?
La réponse tient peut-être dans le titre de son cinquième recueil, Regarder le lion dans les yeux : elles nous confrontent à la vie, y compris lorsque celle-ci ne nous ménage pas. Dès la première de couverture, c’est un regard d’enfant, peut-être même celui de l’auteure, qui nous interpelle, comme un défi, et nous invite à lire ces treize nouvelles. Alors, regardons-le, le lion !
Il surgit dès le premier texte (Les yeux d’Hanane) où Abdou sermonne un jeune auteur, paralysé par le succès, prostré devant un mur à Marrakech : Il faut regarder le lion dans les yeux. Si tu lui tournes le dos, il te terrassera. Sage conseil à qui prétend écrire. On le retrouve au détour des pages, sous différentes formes à l’instar d’un caïman dans les paroles du chaman Kali’na sur les rives du Maroni (L’âme de la Coswine). Regarder le lion, c’est affronter l’obstacle, faire le grand saut, ou s’envoler comme dans la très belle métaphore qui clôt le recueil (Du haut de la falaise).
Les nouvelles s’enchaînent, se répondent, souvent nostalgiques (Retour à Gargilesse, Un gros poisson), parfois bouleversantes (Libérée, La petite porte). La dynamique du recueil s’installe dans les jeux de regards qui circulent d’un texte à l’autre : celui d’Hanane qui crépite de malice tandis que Camille voit avec son cœur. Peu importe les époques, les lieux, chaque fois l’enjeu tient dans cet instant où le personnage doit, avec lucidité et audace, faire face. Ce n’est pas bander les yeux qui aidera l’enfant à aborder le nouveau monde, déclare le grand-père d’Alukawaï, petit amérindien.
Elles nous touchent aussi, les nouvelles de Marie-Christine Quentin, par leur écriture délicate, tout en sensibilité, à l’image des yeux tout barbouillés de rêves de P’tit louis qui garde toute sa naïveté face à l’occupant allemand ou ceux grands ouverts sur leur ciel bleu d’une femme qui au soir de sa vie se laisse posséder par son amour de jeunesse.
Elles nous touchent par leur narration, véritable mécanique de précision, nous entraînant inéluctablement vers une chute surprenante de légèreté dans Rendez-vous à la brasserie du centre, de gravité dans Au-delà du regard, ou par son tragique dans Libérée.
Elles nous touchent surtout par leurs personnages qui nous habitent longtemps après que nous avons refermé le recueil. Comment oublier les lunettes noires de Camille, la malice de P’tit Louis, la sagesse de Yahto le vieil Indien, Dédé et son Chemin de traverse et surtout Betty enfermée derrière La petite porte, nouvelle poignante, ma préférée !
Il n’est donc pas étonnant que dix de ces treize nouvelles aient été remarquées par différents jurys. Marie-Christine Quentin, directrice de la collection nouvelles nouvelles des éditions L’Harmattan, nous livre, dans ce très beau recueil, les multiples facettes de son talent de nouvelliste.