RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

MOLOCH ACADEMIK - Fabrice Schurmans aNTIDATA – novembre 2023

par Jean-Yves Robichon

Dans le paysage de la nouvelle, les éditions Antidata occupent une place de tout premier plan. Leurs livres, au format ramassé, au graphisme percutant, au dos rouge franc, se repèrent facilement sur les étagères de tout amateur du genre. La publication d’un nouveau titre est toujours la garantie d’une écriture singulière, rythmée, au service d’un univers qui se livre sans préliminaires. Et c’est bien le cas pour Moloch Academik de Fabrice Schurmans dont l’incipit : « Le café est froid, la pièce blafarde et la feuille blanche. L’avocat m’a dit de prendre mon temps. De tout raconter. Les illusions, les coups, la chute  », plonge le lecteur dans une histoire qui ne lui laissera aucun répit jusqu’à la chute annoncée.
Fabien Assemans, jeune universitaire belge, rejoint un programme de recherches sur le postcolonialisme dans une université parisienne, mais face à la réalité d’un microcosme où l’on préfère s’empoigner sur le fond terra rossa d’un site internet plutôt que sur son contenu, il perdra vite toute illusion. Margaux Pearl, directrice du programme Decolonisation Identity Arts and Mémories DIAM’S (on appréciera l’ironie de l’acronyme) va au fil des pages révéler son terrible visage. Imbue de son pouvoir, manipulatrice, tyrannique, elle abuse, sans aucune vergogne, de ses nouvelles recrues, les menaçant de la porte à la moindre velléité de contestation. L’auteur croque un milieu universitaire impitoyable où la bonne conscience s’accommode d’une exploitation éhontée de postdoctorants. Mais, au-delà de la dénonciation, le tour de force de Fabrice Schurmans se situe dans la façon dont il fait planer la menace, donnant une tonalité quasi fantastique à sa nouvelle : un vieil homme, surnommé l’Ancêtre, rode, balai en main  un doctorant n’ayant jamais terminé sa thèse  et auquel il est préférable de verser une obole mensuelle si l’on veut rester en vie, ou bien, ces affiches d’étudiants disparus… Et cette question qui taraude les jeunes chercheurs pris au piège : Margaux Pearl est-elle humaine ? On voudrait tellement en douter.
L’écriture incisive et parfaitement maîtrisée de Fabrice Schurmans installe une tension allant crescendo jusqu’à la scène finale. Cette novella, en forme de coup de poing, ne plaira probablement pas à tout le monde, elle n’est pas faite pour ça et c’est plutôt une bonne nouvelle.
Laissons le dernier mot à l’auteur : « Je me demande si ce récit servira notre cause. L’avocat m’enjoint à poursuivre. Le droit et les lettres constitueraient l’arme du pauvre type contre le puissant. […] La littérature rend bien des services. Sauver son homme n’est pas le moindre. »