RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

LES DÉLAISSÉS, Fabrice Schurmans Éditions l’Oiseau Parleur, 15€

par Jean-Yves Robichon

Fabrice Schurmans est bien connu de Nouvelle Donne, trois de ses nouvelles ont été publiées sur notre site : Ceci n’est pas un crime, La gare en 2016 et Variation sur le vagabond en 2018.
En septembre 2020, dans l’interview qu’il accorde à Brigitte Niquet, il lui fait part de son intention de réunir un ensemble de nouvelles : « Il s’agira d’un recueil homogène rassemblant les textes portant sur les pauvres types évoqués plus haut. […]. Par conséquent, j’ai composé le recueil de façon à constituer un monde, un imaginaire cohérent, chaque nouvelle entretenant un lien avec les autres (notamment par le biais des personnages, des lieux fermés). »
Les Délaissés, publié aux éditions L’Oiseau Parleur, est l’aboutissement de ce projet : recueil composé de treize nouvelles dont douze déjà parues en revue, la plupart précédées d’une épigraphe qui en donne le ton.
Bien sûr, la thématique des « délaissés » garantit la cohérence de l’ensemble mais, au-delà, le recueil tient par sa construction, les liens qui s’y tissent, les images qui surgissent et se percutent.
L’ouverture autobiographique L’envers des lettres évoque la dyslexie dont a souffert l’auteur dans son enfance et l’humiliation qu’il a surmontée grâce au regard bienveillant d’une vieille institutrice : « Pour l’enfant, la dégringolade s’arrêta lorsqu’au lieu de jouer avec ses camarades à la récréation, il s’asseyait auprès du chignon gris », point de départ de l’intérêt du petit élève pour la fiction qui se manifestera par la création d’une première bande dessinée et qui, des années plus tard, en fera un homme de lettres.
Chacune des nouvelles captive l’attention, intrigue parfois, comme dans Un pousse-café frappé où un huis clos, qui a les apparences d’un rendez-vous amoureux, laisse entrevoir, au gré d’indices de plus en plus troublants, un hors champ glaçant. Alors, on relit la nouvelle dont le titre prend un tout autre sens.
L’art du nouvelliste est à son apogée dans Pour une poignée de cerises, quand l’identité d’un mystérieux narrateur se devine au détour d’une phrase. Le récit n’en devient que plus bouleversant . Ou encore dans La promesse, nouvelle percutante dans sa concision, introduite par une citation d’Aimé Césaire, dans laquelle un enfant, croupissant près de sa mère dans la cale d’un négrier, se confie à un mythique gardien de mémoire.
Comment oublier Fernand et Lucia, combattants de la Guerre Civile espagnole, la journaliste Nelly Bly alias Nelly Brown infiltrée dans un asile psychiatrique, Marie-Gertrude victime de son patron, Jean-Pierre le vagabond et puis cette ligne de bus qui traverse la ville de Liège (ville natale de l’auteur) et nous transporte au travers du monde : « Ces hommes et ces femmes ne sont pas que d’ici, ils bafouillent le monde en leur syntaxe boiteuse. Il faut bien les écouter. »
Belle métaphore renvoyant au recueil que nous lisons.
Fabrice Schurmans interpelle, apostrophe son lecteur. Les destins qu’il extirpe des marges, de l’enfermement ou de l’oubli prennent sous sa plume, puissante et sensible, une réalité que nous ne pouvons plus esquiver.
La réalité, Antoine Rivière, brillant universitaire, personnage de la dernière nouvelle L’homme qui regardait passer les drames (titre en clin d’œil à un autre liégeois : Georges Simenon) y est confronté, dans un bus là aussi, mais il faut du courage pour y faire face et lui résister.
Pour conclure, soulignons la qualité de l’édition, le recueil est élégant, sobre, soigné. C’est un beau livre.