Le recueil s’ouvre sur une citation de Baudelaire associant le malentendu de l’entente cordiale au plaisir (Mon cœur mis à nu).
Au fil de ces 12 nouvelles, on s’aperçoit effectivement que Jean-Louis Ughetto affectionne les situations où les rapports entre les gens reposent sur divers malentendus. Malentendu des sentiments, de la sexualité, du temps qui passe trop lentement ou trop vite (que l’on soit trop jeune ou trop vieux), de la lâcheté et des instants de courage, des regrets et des séparations unilatérales souvent, rarement consenties. Le choc de civilisations entre la forêt amazonienne de la mystérieuse Capé et l’Occident de Dan est source de malentendus tragiques d’ordre privé dans Le saut du crapaud, puis dans Un endroit sûr. L’entente n’est cordiale qu’en apparence, parfois pas du tout. Les protagonistes errent, s’interrogeant sur leur propre gré et sur les motivations d’autrui. Mais c’est dans le cadre plus ordinaire d’une maison de retraite qu’advient l’apogée du malentendu et de l’ironie tragique, lors de l’entrevue d’une grand-mère et de son petit-fils (La canicule). Les lourdes confidences du jeune se heurtent à l’incompréhension d’une mamie ramollie, en décalage total avec les noirceurs qu’il tente de lui avouer. Est-elle sourde ou fait-elle la sourde oreille pour préserver sa relative tranquillité ? L’ambigüité demeure. Échappant au contrôle ambiant, l’action parfois violente solde les comptes, réponse imprévue et tragique aux questions laissées en suspens, faute de les avoir partagées, et renvoie chacun à sa solitude.
La dernière nouvelle, Dépression oblige, est un joyau. La conversation décousue, frisant le monologue, souligne l’éloignement des convives lors d’un dîner. Le comique absurde qui se dégage de cette étrange soirée tourne, malgré eux, au rocambolesque, évoquant les meilleurs moments de la Dolce vita ou des Vacances de Monsieur Hulot. La folie guette : à quoi reconnaît-on un mort ? Et jusqu’à quand sera-t-il mort ?
Si le malentendu réside dans le plaisir, c’est ici avant tout celui du lecteur, qui découvre des nouvelles plus surprenantes et dépaysantes les unes que les autres, malgré le titre de l’une d’elle, Pas dépaysé, qu’il se gardera de prendre au pied de la lettre. Une angoisse existentielle, discrètement suggérée par les mots, s’échappe des silences.
Et s’il était encore besoin de prouver que la sobriété du verbe n’exclut pas l’originalité, Jean-Louis Ughetto en aura fait ici la démonstration éclatante.
J’aide les taupes à traverser, Jean-Louis Ughetto, 2006 La chambre d’échos, 112 pages, 14 €