Baignant dans le domaine littéraire depuis ses études de lettres puis un parcours dans l’édition et la traduction, Françoise Cohen publie son troisième recueil de nouvelles : dix textes traitant dans des tons très différents, mais toujours sur le ton de la confidence, de sujets qui parleront à tous par leur universalité, mettant souvent en avant la solitude dans le monde contemporain. Un fil conducteur que l’on devine personnel y met souvent en scène l’Amérique du Sud et la langue espagnole (celle de son activité de traductrice), comme dans le sensible « Square de l’Oiseau-Lunaire » à deux voix, rapprochant par petites touches deux solitudes, dont celle d’un célibataire résigné mais non endurci cherchant une amie (et plus si affinités, mais cela restera suspendu). Plus encore que l’exotisme mis en exergue par un titre explicite, l’émotion est souvent au rendez-vous, comme avec le très touchant « Rayon violet », où la narratrice visite à l’EHPAD une vieille tante aux souvenirs intermittents d’une mémoire défaillante, laissée seule, presque abandonnée par de trop rares visites après une vie bien remplie. Tout un chacun se retrouvera dans cette scène que l’on a tous connue sous une forme ou une autre, celle d’une certaine passation de suite toujours frustrante et incomplète (voire rompue net par la mort des anciens) entre les générations. « Peau neuve » adopte aussi le principe du duo de voix qu’affectionne l’autrice, entre un jeune homme grand brûlé et une femme médecin apte à le sauver, chacun d’eux ayant ses espoirs mais aussi ses propres soucis, à nouveau mais sur un ton très différent celui de la filiation (difficile cette fois). De même avec « Bella et moi », même si la filiation repose ici sur la coïncidence d’une ressemblance fortuite entre la narratrice et une simple photo ancienne, ouvrant à d’étranges hypothèses d’ordre génétique et de gémellité dont on vous laissera découvrir la teneur. Un peu à part par son humour décalé et un pas discret dans l’imaginaire, « Au pays de Casiment » joue sans cesse sur les mots et brode tout un univers sur une formule souvent entendue, déclinaison amusante sur les approximations du langage influant et modifiant jusqu’à l’absurde la réalité, devenus dans ce monde imaginé une sorte de rituel, « presque » un mode de vie érigé sur un principe d’incertitude généralisé.
Après « Un mercredi à Buenos Aires », récit réaliste et haletant d’un cambriolage proche du thriller, le recueil se conclut sur un « O Silent Wood » à nouveau à deux voix, dont l’une épistolaire, étrange découverte associée à un objet ancien porteur d’un secret sur ses origines, sur fond de marché des antiquités mais aussi, comme dans « Bella et moi », d’une rencontre par-delà le temps entre deux femmes, par cet objet interposé. Une belle image s’appuyant, comme souvent dans ce recueil, sur diverses formes d’art (pictural ici, avec Dante Gabriel Rossetti et sa muse mais aussi, dans d’autres textes, littéraire et musical).
Dans ses récits brefs, sans fracas ni effets de manche ni chutes spectaculaires, Françoise Cohen a le don de nous immerger en douceur dans des situations presque banales (ou parfois plus dramatiques mais rarement violentes) de la vie quotidienne et de nous faire partager l’émotion de personnages confrontés à leurs doutes ou à leur solitude, et au besoin de racines et de filiation. L’exotisme sud-américain baigne une partie de ces textes tel un fil rouge, laissant entrevoir tout l’amour de l’autrice pour ce continent, en particulier l’Argentine, où elle a vécu et qu’elle nous fait visiter en nous tenant par la main dans « Corazon ceniciente », « Déambulations parallèles » ou dans les ultimes bribes de souvenirs d’une tante Reine en fin de vie, dans « Rayon Violet ».
Des deux hémisphères, de Françoise Cohen – L’Harmattan, collection Accent Tonique 106 pages (parution : mars 2023 – 14,50€)
(actualisé le )