Dorothy Parker, bien connue pour son esprit caustique, figure littéraire majeure de l’Amérique de la première moitié du XXe siècle, nous offre ici un festival de nouvelles qui se conjuguent en une fresque, mordante et pleine d’humour, de la haute société new yorkaise de son temps. Elle nous donne à voir in situ, dans le bel écrin des salons new yorkais, l’incommunicabilité entre des êtres censés être proches, mari et femme, amant et maîtresse, amies de toujours, enfants rassemblés autour d’un vieux père mourant, fils adoptif censé tout avoir, sauf l’essentiel, l’amour de ses parents. Elle nous donne à entendre de manière indirecte, mais d’autant plus efficace qu’elle semble laisser les êtres se mettre eux‑mêmes en scène, le drame quotidien qui se joue, sans cesse répété : l’aveuglement des uns sur les autres (et inversement), le manque d’empathie affleurant sous une politesse de convenance glacée, les lourds silences résultant du manque d’intérêt pour autrui, l’enfermement irrémédiable des êtres, l’incapacité d’être soi, le carcan des conventions sociales et de la respectabilité, le racisme ordinaire drapé dans les couleurs de la vertu (Arrangement en noir et blanc).
Et si les langues se délient parfois, c’est pour faire place à de grands moments parodiques ; face à ces non‑conversations, à ces professions de foi trahissant les travers des locuteurs, leur médiocrité et leur handicap affectif, on regretterait le silence, si ce n’est que l’on explose quand même de rire. Ces grotesques tentatives de communication traduisent en effet l’illusion naïve que chacun se fait de lui‑même et de sa position centrale dans un microcosme mondain qui ne fait qu’entretenir l’ignorance, l’irréalité, l’isolation du monde.
Les plus aveugles, comme anesthésiés, ne veulent pas savoir qu’ils sont, au fond, malheureux. Ce n’est que quand la crise éclate qu’un semblant de lucidité leur vient, comme on réveille une plaie mal fermée, et qu’ils finissent par s’en rendre compte, perplexes de chercher en vain le bonheur dans leur écrin doré, incapables d’en tirer les conséquences. On imagine que l’insecte, avant de se figer, se débat dans l’ambre.
Dorothy Parker nous renvoie l’image d’une infinie solitude, où parfois passe, telle une ombre, une « vraie » personne sous les traits d’une servante noire (Vêtir ceux qui sont nus) ou d’une infirmière aux traits chevalins (La Jument), dotée d’un cœur sensible et souffrant. Un être qui, en dépit de son inexistence sociale, met en abîme la farce désespérée de ces tristes pantins, les (not so) happy few de la high society.