Accident de personne, Brice Gautier novembre 2024, 14€ Zonaires éditions

(actualisé le ) par Jean-Yves Robichon

Après Même pas mal et La maison commune, ses deux précédents titres publiés par Quadrature, Brice Gautier signe son troisième recueil Accident de personne chez Zonaires éditions. Si l’éditeur change, l’auteur poursuit son projet avec détermination : dénoncer, sans aucune complaisance, les travers de notre société, les conformismes sociaux et les non-dits qui gangrènent les huis clos familiaux. Dès la première nouvelle, Accident de personne, euphémisme qui n’annonce rien de bon, nous sommes prévenus : le regard de Brice Gautier est implacable.
Tout d’abord, soulignons le parti-pris de la focalisation interne qui implique le lecteur au cœur même de l’intrigue, il vit l’injustice de l’intérieur. Dans sept nouvelles, le narrateur est une narratrice. Dans deux autres, son genre est questionné. Le statut de la femme, l’accès à l’avortement, l’homophobie, le poids des convenances ou du patriarcat constituent les principaux thèmes qui traversent le recueil.
Et pourtant, il serait réducteur de limiter notre lecture à cette seule dimension sociale, car le nouvelliste maîtrise toutes les subtilités de son art. Chaque nouvelle nous embarque dans les rouages bien huilés d’une mécanique imparable qui nous saisit, nous émeut, nous trouble ou nous révolte. Humour jubilatoire dans Une bête sauvage dans mon garage : Dans sa furie, la laie détruisait implacablement tout ce qui se trouvait sur son passage, nos souvenirs, les cadeaux de nos amis et même le lustre que Pierre avait choisi pour trôner au-dessus de la table en noyer lacérée par les griffes de la bête. Et cela ne me faisait rien. Dimension fantastique dans Retour de flamme. Chute bouleversante dans Un certain équilibre. Incipit déroutant dans Un bouquet de coquelicots : Aujourd’hui, j’ai perdu ma femme. C’est loin d’être la première fois et je fatigue un peu.
Bref, un recueil ardent, tendu, qu’il vaut mieux lire par étape, pour reprendre pied entre chacune des histoires qui le composent.
Je ne déflorerai pas ces dix nouvelles, j’évoquerai simplement le personnage de Paul, dans Une question d’éducation. Ce jeune homme sensible, envisageant son entrée aux beaux-arts, sera « suspecté » d’homosexualité par sa famille traditionaliste. Contrairement à Sterenn, la malheureuse victime d’un Accident de personne, Paul fera le choix de la vie. Ainsi va le destin des personnages de Brice Gautier, leur liberté n’est jamais acquise, en rompant avec le milieu qui les bride, ils la conquièrent.
Le recueil se clôt par Un bouquet de coquelicots, texte différent, touchant de poésie, où la dépendance liée à la perte de la mémoire – sujet déjà abordé par l’auteur dans Quand minuit sonne – est évoquée avec une rare délicatesse. Cette nouvelle a fait l’objet d’une lecture dans le cadre d’un partenariat entre la revue Rue Saint-Ambroise et l’association Rue du Conservatoire. À découvrir en suivant ce lien

Une fois encore, Brice Gautier démontre la force de frappe de la nouvelle. Quelques pages, une intrigue bien menée, des personnages attachants valent mieux que bien des discours. En refermant le recueil, on ne voit plus le monde tout à fait comme avant.