RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

Donald Ray Pollock–Knockemstiff (2010, Buchet-Chastel) Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Garnier

par JMC

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Donald Ray Pollock est un franc-tireur du roman noir anglo-saxon, par sa noirceur absolue et ses personnages paumés jusqu’à l’autodestruction. Dans la même veine que son roman Le Diable, tout le temps, Knockemstiff est une description cruelle et sans fard d’une Amérique rurale profonde, réunie ici en un lieu unique : Knockemstiff, village perdu à tous les sens du mot, plombé par les taresde ses habitants : pauvreté, manque d’éducation et absence d’ambitions. Par exemple celle qui consisterait tout simplement à fuir ce lieu sans issue pour « tenter sa chance ailleurs », selon l’expression consacrée. Le concept est original : un cycle de 18 nouvelles en puzzle imbriqué présentant, un à un ou par petits groupes, les membres de cette communauté tout juste humaine, aux comportements insensés et indignes. Ce qui donne une comédie grinçante de la noirceur humaine avec sa galerie d’individus glauques et abjects, accros au sexe, à la drogue, à l’alcool et à diverses substances illicites (ou le tout à la fois), « bêtes et méchants », tous dignes d’une version trash des Bidochon ou plutôt, d’une BD de Reiser. Un éventail de héros tous givrés, cumulant bêtise et malchance absolue, sans aptitude ni volonté réelle à s’extraire de leur misère crasse et d’une médiocrité ambiante qui tue dans l’œuf la moindre lueur d’espoir.
Entre vomi, sang, sperme et autres fluides organiques, chimiques ou alimentaires dégradés peu ragoûtants, et crudité des situations (l’inceste n’étant pas forcément la pire d’entre elles), le dégoût guette souvent le lecteur, voire une certaine lassitude par l’effet d’accumulation de situations toutes aussi sordides et d’une galerie improbable de cas sociaux. Et cela dès le texte introductif, La vie en vrai, que surpassera l’immonde Bactine. Mais au-delà de l’horreur, la vérité cruelle des images et le style somme toute réjouissant de l’auteur pour nous décrire la fange et le désespoir (acceptés, plus que subis) emportent malgré tout l’adhésion. Tel un nouveau Zola des classes (très) défavorisées de l’Amérique, Pollock nous en décrit les bas-fonds avec une jouissance quasi naturaliste, une violence exacerbée des sentiments et des actes qui n’appartient qu’à lui et à de rares auteurs, digne du cinéma de Tarantino, car le polar descend rarement aussi bas dans la crudité, l’ignominie, la dépravation et l’abjection humaine. Malgré des traits forcés proches de la caricature (inspirés des pires faits-divers de la misère sociale), on se surprend à la pitié envers des individus qui, le plus souvent, n’en ont aucune, envers eux-mêmes ou leurs proches. Et l’émotion prend parfois, comme dans Discipline (un drame du dopage dans l’univers factice du bodybuilding), La vie dans le val (un père indigne à la vie brisée, prenant la défense de son fils handicapé profond) ou Dernier round (les états d’âme d’un alcoolique repenti). En cela, et malgré le parti-pris pessimiste et nihiliste du No happy end, cette vitrine d’abjections sociales réunies en un lieu unique pour les besoins de la cause acquiert une dimension de « Comédie humaine de l’inhumanité ».