Dans un appartement du très chic 7e arrondissement, une famille recomposée fête les onze ans d’Hortense, la fille de madame. Pour l’occasion, Charles, l’oncle maternel, est venu déjeuner. Pourtant, le tableau idéal peu à peu s’effrite. Hortense est ingérable, les échanges se tendent entre Charles et Armand, le « frère » par alliance d’Hortense. Hubert, le mari, devient menaçant envers son beau-frère, modeste enseignant. Sûr de son impunité de grand bourgeois, il ne se laisse pas impressionner par ses insinuations. Dans une atmosphère à la Chabrol, tout se joue dans le détail : préparation d’une blanquette, regards échangés, faux-semblants, non-dits. Le lecteur devine l’indicible. Par un subtil crescendo, la tension monte jusqu’à atteindre son paroxysme. Joyeux anniversaire est une nouvelle inédite du recueil Haute tension que signe Livia Léri, auteure bien connue des revues où elle publie régulièrement. Preuve en est, les neuf autres nouvelles du recueil ont fait l’objet d’une parution antérieure.
Mais disons-le d’emblée, lire une nouvelle isolée ou lire un recueil ne relève pas de la même expérience. Le recueil, parce qu’il joue d’échos, de résonances, révèle plus encore l’univers de son auteure.
Les personnages se succèdent et se répondent, ici, pour la plupart des femmes. Proies d’un Suiveur, dans la première nouvelle, épouse trompée dans Faux départ ou malmenée par leur belle-famille dans Padmila et On sera bien heureux, ou encore artiste trahie par un pair dans Maître So. Victimes certes, mais fières et combatives, elles ne se résolvent pas à la condition que leur réservent les hommes. Le suiveur – qui fut pris, lui qui croyait prendre – l’apprendra à ses dépens.
Les thèmes resurgissent. L’anniversaire de la jeune fille, dans Joyeux anniversaire et Sur le causse, ravive la blessure d’agressions sexuelles commises par ceux-là même qui célèbrent le passage de l’enfance à l’âge adulte. Bourgeoisie parisienne ou ruralité cévenole, la réalité reste la même, l’enfance est trahie sous le regard complice des proches.
Les procédés se déclinent, comme l’adresse à l’absente dans trois nouvelles épistolaires. Padmila, où le rappel de trois photographies esquisse le destin tragique d’une toute jeune Indienne. Proscription où un père séparé de sa fille par une loi absurde exprime son désespoir. On sera bien heureux où un époux abandonné tente de reconquérir celle qu’il n’a pas su protéger. Pays, époques, milieux sociaux, à chaque missive, le lecteur est projeté dans un monde à part entière.
L’écriture, surtout, reste la même. Chez Livia Léri, elle se montre d’une redoutable efficacité, jusqu’à se faire oublier au service de la dynamique du texte. Efficace, mais surprenante, jouant de registres très divers, de la gouaille du mari abandonné aux sophistications des milieux de l’art contemporain. Détonnant surtout, ce coup de fusil dans la steppe qui clôt le recueil ! Le vent de l’ours, nouvelle énigmatique, sobre, aux images troublantes, nous saisit de poésie. Magistral.
Si vous avez déjà lu des nouvelles de Livia Léri, vous aurez grand plaisir à les retrouver dans son recueil publié aux éditions Il est midi. Si vous découvrez Livia Léri, alors plongez-vous sans attendre dans son univers sous Haute tension.

Haute tension, Livia Léri Mai 2025, Éditions Il est midi, 16€