Intérieur nuit de Nicolas Demorand : un brûlot nécessaire et courageux Nicolas Demorand, Intérieur nuit, Éditions Les Arènes. 18 €.

par Dominique Perrut

Je suis un malade mental : cette anaphore lancinante rythme tout le premier chapitre d’Intérieur nuit et happe le lecteur dans le récit qu’on lit d’une traite. Venant d’une personnalité publique sur laquelle les auditeurs n’ont pas manqué de projeter l’image de la réussite, cette audacieuse confession exerce un effet saisissant. Ce tableau à contre-emploi ne peut manquer de susciter la curiosité.

La bipolarité, dont souffre l’auteur, est en effet, si l’on peut dire, la maladie de monsieur ou madame tout-le-monde. Mais le silence règne sur celle-ci. Elle toucherait environ un million de personnes en France. Voilà ce que Demorand met à jour, en s’appuyant sur sa notoriété. Il veut parler au nom de ceux qui en souffrent, sans pouvoir exprimer leur mal. Ceci conduit l’auteur, chemin faisant, à mettre le doigt sur les réformes urgentes à mener. Un enjeu considérable, puisqu’une bonne part de la population est concernée par les troubles mentaux.

Ce livre haletant et qui tient en haleine, d’ores et déjà un succès de librairie, après son lancement très professionnel, a été largement relayé par la presse. Celle-ci a parfois fait état bien davantage des potins qui ont entouré cette promotion que du livre proprement dit [1].

L’ouvrage, à peine une centaine de pages, se compose de petits chapitres, chacun consacré à un thème relié à la maladie : l’irruption de la maladie mentale chez l’auteur : la bipolarité (nom euphémistique donné aujourd’hui à l’affection maniaco-dépressive) ; les phases dépressives ; les phases maniaques ; les pérégrinations d’un généraliste à l’autre, sans le moindre résultats ; les tentatives de psychanalyse (parmi lesquelles la rencontre choquante avec François Roustang) ; enfin le bon diagnostic et partant, le bon traitement à Sainte-Anne.

Le style, la narration, tout cela est direct, efficace, sans périphrases, avec des expressions fortes : « le tissu de la banalité se déchire ».

Dans le cours du récit, nous croisons plusieurs figures qui ont, ou ont eu maille à partir avec la maladie mentale : Gérard Garouste [2], Philippe Labro [3], Emmanuel Carrère [4]. Il faut aussi évoquer ici, car c’est un écrit pionnier, le récit percutant, Face aux ténèbres, que William Styron livra en 1990 sur sa terrible dépression [5].

Deux thèmes, il me semble, auraient pu être davantage approfondis dans Intérieur nuit. D’une part, il s’agit de la genèse de la maladie chez l’auteur. Celle-ci est donnée comme un fait, dont on ne discerne à aucun moment l’origine. Bien sûr, l’auteur est libre de révéler ou de masquer certaines réalités, ne serait-ce que dans la mesure ou elles mettent en cause des tiers, notamment dans le cercle familial (on pense évidemment aux ascendants). Cependant, bien des questions subsistent : y a-t-il des antécédents familiaux ? le déclenchement des troubles a-t-il été lié à un événement personnel ? à des traumas d’enfance ?
D’autre part, les données sur la thérapie médicamenteuse auraient pu être plus explicites, et plus pédagogiques aussi, au lieu d’une liste de noms. Quelles grandes familles de médicaments sont utilisées ? Quels sont les effets recherchés ? En quoi certains traitements se sont-ils trouvés inadaptés ? Seul l’usage de la Kétamine est un peu plus développé.

Mais l’objet du livre est bien plus d’alerter que de tenter une somme sur ce vaste sujet. Bien plus répandue qu’on ne le croit souvent, la maladie mentale suscite généralement la frayeur, sur laquelle se referme le couvercle du silence. Le « coming out » très décidé de Nicolas Demorand brise un tabou et fait œuvre utile en désignant des pistes de réforme, au premier rang desquelles la formation des médecins généralistes, en vue d’une orientation rapide des patients en souffrance, vers leurs confrères psychiatres, afin de leur éviter la cruelle traversée d’une dangereuse « errance médicale ».

Notes

[1Le Monde Magazine, Solenn de Royer : « Nicolas Demorand, la vie après la déflagration de son témoignage ‘Intérieur nuit’, sur sa santé mentale », 16 mai 2025.

[2Gérard Garouste, L’Intranquille, Le Livre de poche, 2011.

[3Philippe Labro, Tomber sept fois, se relever huit, Gallimard, 2005.

[4Emmanuel Carrère, Yoga, P.O.L., 2020.

[5William Styron, Darkness visibleA Memoir of Madness, Jonathan Cape, 1991 ; Trad. Fr. : Face aux ténèbres, Gallimard, 1990.