En mai 2023, Nouvelle Donne publiait La rapine - Nouvelle Donne qui nous avait séduits par son écriture singulière et ses images à la sauvagerie troublante.
Les histoires que raconte Mehdi Ikaddaren ne sont jamais innocentes. Elles nous imprègnent, nous hantent, nous les relisons encore et encore. Elles font écho à notre mémoire intime, profonde. Il y est question de filiation, de culpabilité, de fantasmes.
Le recueil se compose de neuf nouvelles.
Il s’ouvre, sur L’élève de Palvetti, la plus longue. Dans le milieu de la Renaissance italienne, un enfant habile en dessin deviendra, par la grâce de Maria, un peintre reconnu. L’esquisse d’un visage, oubliée et jaunie, plane sur le récit. Mehdi Ikaddaren nous fait entrer dans les ateliers des grands maîtres. Tout est précis, soigneusement documenté : vrai. Le lecteur y croit, l’auteur sourit.
Suivent quatre nouvelles japonaises. Mehdi Ikaddaren y décrit des paysages d’un œil averti et sensible. Ici, pas de clichés faciles, mais une connaissance approfondie de la culture nipponne. Souvent prisonniers de leurs destins, les personnages se confrontent à l’impermanence des choses, au temps qui passe, inexorablement : On eût dit une fleur de pivoine, un épais bouton carmin qui déployait ses longs pétales – avant de se dissoudre, comme une fleur séchée, imbibée dans le thé amer de l’oubli. L’écriture est belle, cadencée. Elle nous porte et nous entraîne dans des jeux d’illusions, de miroirs, comme dans La chambre des somnambules, nouvelle hypnotique qui a donné son titre au recueil.
Les quatre nouvelles suivantes sont traversées par la hantise du mal, de la guerre. Dans Le mascaret, texte publié en 2020 par le Cafard Hérétique, le puissant reflux du fleuve projette le cadavre d’une femme contre les jambes de jeunes hommes. Mais qu’a vu le narrateur ? Ce corps n’est peut-être qu’un enchevêtrement d’immondices. L’image ne serait que réminiscence. Elle devient hantise, qui est coupable ? Aurait-on pu imaginer que le mascaret réveillerait ses fantômes ? Que nous serions là, à guetter le salut d’un cadavre, pour feindre de n’avoir rien vu, rien su ? Car coupables, nous le sommes tous, n’est-ce pas ? Ainsi en va-t-il de l’écriture, elle se joue de la mémoire, du passé trouble qu’elle recompose pour nous interpeller.
Le recueil se clôt par Au cœur des prés, titre au charme trompeur pour décrire le massacre d’Ascq, tragédie de l’histoire où quatre-vingt-six civils ont été sauvagement fusillés en avril 1944. Les faits sont rapportés avec réalisme. Paul Voyeux, petit contrebandier sans envergure, a tout vu. Il passera la nuit dans un fossé avec le fils de Nono, un gamin de dix-sept ans qui ne survivra pas à ses blessures. Cette terrible mémoire pèse sur l’écriture toujours juste, contenue, et pourtant, à la limite du soutenable.
Mehdi Ikaddaren cultive un style au rythme envoûtant. En musicien de mots, il compose. Son phrasé mélodique nous invite à le lire à haute voix. Ce premier recueil, très prometteur, est déjà une belle réussite.
La chambre des somnambules est publiée chez Zonaires éditions, éditeur bien connu des amateurs de nouvelles.

La chambre des somnambules de Mehdi Ikaddaren Zonaires éditions – février 2025 - 14,50 €