RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

Lauren Groff – Floride – éditions de L’Olivier 2018 Traduit de l’anglais (États-Unis) par Carine Chichereau

par BN

Revoici Lauren Groff, que l’on commençait un peu à oublier depuis le succès foudroyant – et mérité – des Furies en 2015. Et comme cette jeune femme semble avoir tous les talents et toutes les audaces, elle s’attaque cette fois à la nouvelle, heureuse mortelle qui vit dans un pays où celle-ci est reine.
Nouvelles si l’on veut, d’ailleurs. Tranches de vie, plutôt, souvent sans véritable histoire ni chute mais si prenantes dès la première ligne, comme la nouvelle éponyme qui ouvre le recueil, où une jeune femme va courir dès que le soir tombe et reste dehors la moitié de la nuit, seul moyen qu’elle ait trouvé pour... s’empêcher de hurler.
Jude, qui vient ensuite, ne démérite pas et introduit le thème de l’abandon qui traverse la moitié au moins des textes. Comment va survivre cet enfant, délaissé tour à tour par son père puis par sa mère, quand son géniteur finalement le récupère et l’élève au milieu des serpents et des alligators ? Fait rare, le récit couvre presque toute la vie de Jude, et ses rapports chaotiques avec son père, la complexité des personnages ainsi que l’originalité absolue de leur histoire font craquer les coutures du genre et mériteraient que Jude, longue nouvelle, devienne un véritable roman.
Dans Quand le loup devint homme, deux petites filles sont abandonnées par les adultes sur une île déserte. Elles se mettent en mode survie et parviennent à tenir plusieurs mois, jusqu’à ce qu’un bateau accoste par hasard et que ses occupants les découvrent avec stupeur,
faméliques et hagardes mais vivantes. Et ainsi de suite. On l’aura compris, l’univers de Lauren Groff n’est pas celui des Bisounours. On est loin de la Floride des milliardaires et des stars, celle-ci est plutôt la terre des cataclysmes dévastateurs qui détruisent tout sur leur passage. Plusieurs nouvelles ont pour cadre une catastrophe naturelle à laquelle les personnages essaient avant tout de survivre. À remarquer : ces personnages sont tous des femmes, qui s’efforcent d’être maîtresses de leur destin jusqu’aux limites du possible. Âmes sensibles et amateurs de happy ends, s’abstenir : l’univers de Lauren Groff est d’une noirceur absolue et d’une violence sans égale, même quand cette violence est intime et ne provient pas des éléments extérieurs. On aime... ou pas.