Vous êtes-vous déjà arrêté dans une lecture pour lire trois fois un passage, à voix haute, dans le silence sonore de votre caboche ?
Juste parce que le rythme vous a pris, comme une chanson, un poème libre, qui se scande tout seul dans la nuit, et se libère ?
J’entends sa voix.
« Pourquoi es-tu partie ? »
La cadence de ses césures. Un métronome a démarré, qui donne le tempo.
« Et toi, aimais-tu la brume ? »
Je le chante en vers libres, c’est de la musique :
« L’ennui. / J’écris pour ne pas mourir au fond de cette ferme / que je renie / avec sa terre de peine / et ses maudites bêtes. »
Jean-Yves Robichon aime les arbres, la mer, la brume, les vieilles dames, les 17 ans et les synesthésies chères à Rimbaud.
Hanté par le rien, la disparition, l’effacement des êtres, des existences et des choses, de la mémoire.
Il aime aussi les chansons, les peintures, les romans, et encore la brume.
Les mains de peintres, de graveurs, qui racontent tant de merveilles, comme dans « Les mains de César », un opuscule paru dans les Éditions Lamiroy.
« Comme à Ostende » est une nouvelle que nous avions publiée dans Nouvelle Donne en septembre 2020.
Les bonnes nouvelles, c’est celles qu’on relit sans se lasser, en dégustant d’y découvrir de nouveaux échos, des leitmotivs aux subtiles différences.
« Ostende, j’ai dix-sept ans, et je n’ai jamais vu la mer. »[« Comme à Ostende »]
« J’ai dix-sept ans, et je veux voir la mer. »[« Comme à Ostende »]
Dix-sept ans. L’âge qui hante toutes les nouvelles de ce recueil.
« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans ». Rimbaud, jamais cité, toujours en filigrane.
Leitmotivs, à l’intérieur des nouvelles, et d’une nouvelle à l’autre.
« De ses dix-sept-ans il ne se souvient de plus rien sauf de cette nuée d’or qui le saisit à la veille de novembre » [1]
La nature,
« Depuis toujours, je grandis sous terre, je m’immisce, m’accroche, m’enracine »
les arbres,
« Érable, charme hêtre et même peuplier... »
la campagne,
« J’écris pour échapper au triste sort qui m’a fait naître dans cette campagne qui a fui. »
et surtout la mer, partout la mer.
Terres gagnées sur la mer, de ce pays de dunes et d’eau, ici un canal, là un étier.
Ce sont chaque fois des synesthésies qui renvoient d’une œuvre d’art à une expérience sensorielle.
« Les gris aussi, engourdisdans les brumes ouateuses, il les entend » [2]
De sa formation de plasticien, nous lui devons la visite de « L’ange de Memling » (allusion à l’ « Ange tenant un rameau d’olivier ») ; de l’Agneau mystique des frères Van Eyck ; de Klimt [3] ; et même de cette petite vieille « qui bricole des histoires avec des images », Agnès Varda, (dans « La naissance d’Ulysse », une nouvelle qui a été second prix de la 33° édition du concours de l’Encrier renversé).
Personnages célèbres,
« Bientôt la brume, plus tard le noir. Sur la ville, le commissaire Mager veille. »
mais aussi et surtout personnages de rien, qui cherchent à se souvenir, à l’heure du bilan.
« ... il n’est pas vraiment né, ... » [4]
« que reste-t-il de sa vie... » [5]
« Il n’aurait donc pas vécu ? » [6]
« Pour le reste, je ne suis sûr de rien, ni de là où je viens, ni même du nom qui est le mien » [7]
« Ce matin, je nais, vierge de souvenirs, je nais vieux dans un corps qui me trahit »
De ces 3 jours passés, que reste-t-il ? [8]
Si ce recueil, « Les fils de novembre » [9], doit son titre à l’emprunt d’un vers de la chanson « Le plat pays » de Jacques Brel (« Quand les fils de Novembre nous reviennent en mai »), de nombreuses allusions aux chansons en jonchent les pages : « L’été indien », « La mer qu’on voit danser », et bien sûr « Ostende », de Léo. Chansons et chansons encore, d’une génération qui bientôt s’éteindra, un doux-amer spécifique à cet auteur talentueux.