La chaufferette, c’était un petit appareil qu’au 19e siècle, les enfants emportaient avec eux à l’école pour se chauffer les pieds pendant les durs mois d’hiver. Cet objet en métal se prêtait aux usages les plus inattendus, tantôt arme redoutable dans les bagarres entre les petits, tantôt fourneau pour y faire cuire des châtaignes, dont les senteurs remémorées réveillent la nostalgie de la narratrice. L’instrument en effet est déjà tombé en désuétude du vivant de l’autrice. Mais, au détour de cette évocation si prenante, Colette nous prend à contre-pied. La Chaufferette, titre de cette nouvelle qui clôt le recueil, n’est qu’un prétexte pour nous confier… son absence de vocation pour l’écriture : Pourtant ma vie s’est écoulée à écrire… Née d’une famille sans fortune, je n’avais appris aucun métier. Je savais grimper, siffler, courir, mais personne n’est venu me proposer une carrière d’écureuil, d’oiseau ou de biche. Le jour où la nécessité me mit une plume en main et qu’en échange des pages que j’avais écrites on me donna un peu d’argent, je compris qu’il me faudrait chaque jour, lentement, docilement écrire, patiemment concilier le son et le nombre, me lever tôt de préférence, me coucher tard par devoir... C’est une langue bien difficile que le français. A peine écrit-on depuis quarante-cinq ans qu’on commence à s’en apercevoir.
En baie de Somme se présente comme le journal, de facture très contemporaine, parfois télégraphique, d’une longue sortie à la plage. Plusieurs entrées cadencent cette journée, marquée par la frénésie du départ, la volupté des bains de soleil, ainsi que le regard sarcastique de la narratrice sur les petits parigots, « ces petits morveux passés au jus de chique ».
Le rire, une autre de mes nouvelles préférées, démarre ainsi : Elle riait volontiers, d’un rire jeune et aigu qui mouillait ses yeux de larmes, et qu’elle se reprochait après comme un manquement à la dignité d’une mère chargée de quatre enfants et de soucis d’argent. Elle maîtrisait les cascades de son rire, se gourmandait sévèrement : « Allons ! Voyons… », puis cédait à une rechute de rire qui faisait trembler son pince-nez. Il s’agit bien sûr de Sidonie, la mère admirée qui, dans ce court texte, se morigène une fois de plus d’être prise de fou rire devant les acrobaties d’un petit chat, tandis qu’elle porte le grand deuil de son mari.
Dans sa collection Les Meilleures nouvelles, qui compte maintenant une petite dizaine de titres, dont plusieurs présentés sur notre site [1], les Éditions Rue Saint Ambroise font donc paraître un volume de nouvelles de Colette. Celui-ci couvre trois décennies dans un ordre chronologique, réunissant des moments près de l’océan (Partie de pêche), des souvenirs de Music-Hall (L’Accompagnatrice), l’irruption de la grande guerre (La Nouvelle), des scènes courtelinesques (Un Timbre à 0 fr. 60, svp !) et une histoire d’inceste dans la campagne (Le Sieur Binard).
Élaboré par Julie Wolkenstein, ce volume comprend 34 nouvelles, parfois très courtes, issues de 17 recueils. Selon les standards de la collection, des notices en fin de volume nous renseignent sur le contexte précis dans lequel chacun des recueils a été élaboré. Avec cet outil de référence, le lecteur possède toutes les cartes pour approfondir l’œuvre d’une autrice, qui nous surprend ici par la variété de ses modes d’énonciation, passant avec aisance du je (L’Accompagnatrice) au tu (Dimanche), et relatant des dialogues entre deux animaux, Toby-chien et Kiki-la-doucette (Une Visite).
La préface de Julia Kristeva explore les formes de la sexualité chez Colette, tandis que celle de Mona Ozouf retrace son long « commerce » avec elle, entre découvertes, oublis et redécouvertes.
L’ouvrage refermé, on se demandera, avec Julie Wolkenstein, si les courts morceaux rassemblés ici relèvent de la nouvelle ou constituent des « fragments », des « biographèmes » [2], soit miettes resurgies du passé, soit scènes du présent. Qu’importe après tout, ils jettent une lumière nouvelle sur une écrivaine que son grand talent et son combat pour l’autonomie nous rendent irrésistiblement attachante.