RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces – Ella Balaert éditions des femmes – 2020

par BN

Je n’ai pas de goût particulier pour le fantastique. Quelques bons souvenirs de lectures quand même (surtout Dune), mais c’est déjà de l’histoire ancienne, et sans la caution de Georges-Olivier Châteaureynaud, grand maître du genre semi-fantastique et auteur d’une belle préface très incitative, je n’aurais sans doute pas été attirée par ce livre au point de le chroniquer alors que personne ne m’avait rien demandé. Mais voilà, c’est fait, et je ne regrette pas le voyage.
Commençons par le texte éponyme, Les poissons rouges, qui se trouve être aussi le premier du recueil. Une jeune femme, Andréa, à la fois narratrice et partie prenante des événements, mène le bal et il ne faut qu’une ou deux pages pour qu’on comprenne que quelque chose « ne tourne pas rond » chez elle. À moins qu’elle ne soit victime d’une conspiration universelle ? L’ambiguïté est maintenue, et le dénouement, qui ne tarde pas à arriver – la nouvelle est courte – fait froid dans le dos. Pauvres poissons rouges !
Le ton est donné et ne sera pas démenti d’un bout à l’autre. On ne sait pas toujours d’emblée quel personnage disjoncte ou va disjoncter (l’ambiguïté est savamment entretenue) mais c’est sûr, chaque texte va « mal finir », généralement avec le concours ou sous le regard d’un animal – 17 textes, 17 animaux, un véritable « bestiaire » – , comme le titre du recueil le laisse entendre. Le tout est de savoir comment interviendra ce dénouement : effet de surprise – comme dans L’araignée où les fils de la toile sont si nombreux, si collants et si entortillés qu’on s’y emmêle jusqu’à la fin – ou lente et inéluctable glissade vers l’abîme, simplement suggérée d’abord, puis prenant peu à peu toute la place – comme dans Le faucon qui pousse le procédé jusqu’à ses extrêmes limites. Peu importe à vrai dire, quelle que soit la manière de faire, l’auteur réussit l’exploit de nous surprendre à chaque fois et ce n’est pas une de ses moindres qualités.
Un mot encore sur le style d’Ella Balaert, impressionnant d’inventivité ou en tout cas, de recours aux mots rares plus ou moins bricolés : « apopathodiaphulatophobe », « copronomasiophobie » (Le bourdon), etc. Ces jeux avec le langage, pour divertissants qu’ils soient, ne sont cependant pas gratuits, comme le souligne Châteauraynaud dans sa brillante préface, « C’est Alzheimer, la peur d’Alzheimer […] qui se cache là-derrière ». Eh oui, sans doute, la mort a plus d’un tour dans son sac… Puisse cette lecture vous (nous) en distraire quelque temps.