Redevenir l’absent et autres inquiétudes de Gilles Ascaso février 2025, 15€ - Editions Vents des lettres

par Jean-Yves Robichon

En réunissant dans un même volume douze nouvelles, pour la plupart déjà parues en revue entre 2020 et 2023, Gilles Ascaso renoue avec la tradition du recueil. Ce dernier s’ouvre sur Les merveilles - Nouvelle Donne, que nous avions eu le plaisir de publier en 2020.
A posteriori, il est toujours possible de définir un fil conducteur, un lien qui garantira une unité à l’ensemble. Le titre nous suggère le thème de l’inquiétude, nous y reviendrons. Mais, là n’est pas le seul intérêt de ce recueil. L’écriture sensible de Gilles Ascaso en est le dénominateur commun, elle révèle un univers très personnel oscillant entre nostalgie et dystopie.
Nostalgie, lorsque le narrateur d’Apparition se rappelle les moments intimes passés dans une maison récemment vidée. Nostalgie, dans Cora, histoire d’amour atypique, où l’on reparle de Cora Vaucaire, chanteuse aujourd’hui oubliée. Avec Redevenir l’absent, le recueil opère un basculement. La nostalgie est celle du héros de retour en son foyer, il observe sa femme endormie : enroulée dans la pénombre et le lin, découvre son fils de vingt ans, se remémore ses compagnons d’armes tués au combat. Peu à peu, une autre figure se dessine, l’évocation d’Ithaque nous le confirme, cette nostalgie-là, nous la connaissons, elle nourrit notre imaginaire depuis l’antiquité.
Dystopie, avec Les chiens, où plane la menace ; les chiens bien sûr, mais aussi la police spéciale, le couvre-feu, la méfiance dans laquelle les personnages se murent. Comment ne pas penser à l’épisode du confinement ? Dystopie, dans Suprématie du gris, où par une succession de paragraphes brefs et factuels, l’auteur décrit l’imminence d’une catastrophe. Beaucoup de gens sont touchés, une fois ou l’autre. Parfois, cela n’est rien, un train qui n’est pas parti, un avion qui a fait demi-tour, un magasin évacué, un spectacle annulé, ce n’est vraiment pas grave, c’est fréquent. Mais parfois, il y a des victimes, un blessé, un mort. Même les animaux sont parfois visés. Dystopie d’autant plus inquiétante qu’elle fait écho à l’actualité qu’il s’agisse de la nuit du 13 novembre 2015 dans Muer ou bien des attentats de janvier 2015 dans Fils d’Israël.
Si chaque nouvelle est autonome, le montage – au sens cinématographique – qu’opère Gilles Ascaso donne à chacune d’elles une profondeur inattendue. Nous ne faisons pas la même lecture de Fils d’Israël après avoir lu Les merveilles, la résurgence de l’antisémitisme n’en est que plus violemment dénoncée. La référence au héros antique dans Redevenir l’absent modifie notre perception des premières nouvelles et laisse entrevoir une gravité qui aurait pu nous échapper. Ainsi, dans un jeu de résonances, le recueil trouve son unité : Gilles Ascaso nous livre sa vision inquiète du monde.
En refermant le livre, la ruine de temple grec illustrant la première de couverture sonne comme un avertissement : même les civilisations les plus brillantes se sont effondrées. Faut-il alors prendre la mer pour redevenir l’absent tel le héros qui s’éloigne des rivages d’Ithaque laissant derrière lui un orient de brumes au lacis compliqué ?
Redevenir l’absent est le deuxième recueil de Gilles Ascaso (après Violences brèves, Lunatique 2015), il est publié chez Vents des lettres, maison d’édition associative située en Vendée, qui a le grand mérite d’inscrire à son catalogue une collection de recueils de nouvelles.