- Illustration : Corine Sylvia Congiu - 2025
Si j’avais le sens de la formule, la maîtrise du passé simple et le goût des choses bien faites, je pourrais déclamer un peu haut : « voici ce qu’il advint dans mon jardin à propos d’un pied d’églantine. » Pas mal, comme début de programme. Oui mais voilà, si j’étais l’homme élégant, raffiné, courtois et moraliste, ça se saurait. Au lieu de quoi, je préfère embrouiller des bouts de presque rien et raconter mes vérités naïves. Je laisse aux auteurs morts leur passé simple, ils l’ont bien mérité. Quant à mon jardin, restons modeste, je n’ai pas exactement accès aux faits, je veux dire par là à l’essence des choses, je n’ai pas le droit de dire « il s’est passé ceci ». Je peux à la rigueur dire ce que j’ai vu, ou du moins ce que j’ai cru voir, et enfin, c’est là qu’est l’art, je peux tenter de dire ce que j’ai ressenti.
Pour commencer, si je choisis d’être honnête, je dois confesser une erreur de vocabulaire. Je disais « églantine » pour parler de la plante elle-même, alors que correctement, « églantine » est la fleur, la plante se nomme « églantier ». Oui mais voilà, j’avais déjà ma première phrase, et elle sonne assez bien, je n’ai pas eu le cœur à la corriger. « Pied d’églantine », ce n’est pas tout à fait le bon usage, mais vous reconnaîtrez que c’est beaucoup plus musical que « pied d’églantier », qui est assez lourdaud. Et puisque nous en sommes à parler technique, c’est une question qui est importante, comment arbitrer entre la musique et la rigueur ? Il me semble que le principe est simple : les deux doivent être satisfaites. La mise en pratique de ce principe n’est qu’une question de travail. Je ne corrige pas ma première phrase, parce que je fais confiance à l’instinct, mais je corrige mon titre, « la bouture d’églantier », somme toute, ça sent déjà presque aussi bon que la fleur elle-même.
Les préliminaires sont importants ; vous en conviendrez, on ne peut tout de même pas commencer un repas sans s’être lavé les mains et sans avoir mis la table. Et voilà ce qu’il se passe quand je cuisine pour vous, j’ouvre mon dictionnaire. J’ai cherché « églantine » parce que je voulais l’orthographe correcte de « cynorrhodon », et je voulais m’assurer que c’est bien la même plante. On apprend dès l’école qu’un auteur doit éviter les lourdeurs, or les répétitions mal maîtrisées font partie de ces lourdeurs, il faut alors s’équiper de synonymes. Encore une fois, c’est très simple à comprendre, mais c’est un peu de travail. C’est grâce à cette sérieuse préparation que j’ai pu prendre conscience de ma confusion entre « églantine » et « églantier ». Je ne voudrais tout de même pas professer des bêtises à mes lecteurs. Nous apprenons au passage, dans le même dictionnaire, que cette jolie plante dont il est question est parfois aussi appelée « gratte-cul », ce qui est plaisant, ou « rosiers des haies », voire « rosier sauvage ».
Qu’on me pardonne, mais nous ne sommes pas encore prêts à croquer dans le vif de l’histoire. Il faut que j’expose préalablement la mésaventure de mon petit chêne des garrigues. Il y a des chênes des garrigues à deux pas de chez moi, ces arbustes font des rejets. L’encyclopédie est formelle, elle indique que « le pied-mère forme une plante-fille pourvue de racines, que l’on peut séparer pour obtenir un individu autonome ». J’ai tendance à faire confiance aux encyclopédies et j’avais envie d’avoir chez moi un petit chêne des garrigues récupéré localement à bon marché. J’avais donc pris ma petite pioche, j’avais prélevé une jeune pousse avec ses jeunes racines et un peu de sa terre natale. J’avais planté cela chez moi dans un pot avec ma meilleure terre d’accueil et mes bons vœux. J’avais observé, aimé et arrosé ce petit pot avec son chêne des garrigues. Il m’avait semblé que l’arbrisseau s’était fait à son nouvel environnement, je me voyais déjà, peut-être l’année suivante, l’installer en pleine terre. Il a tenu un mois ou deux, et il est mort. Trop d’eau ou pas assez, je ne saurai jamais. Je sais deux choses : il a tout de même tenu un peu avant de mourir, il n’a pas tenu jusqu’au bout.
Pour ce qui est des mises en bouche, nous y sommes presque. Mon lecteur soucieux de se repérer dans l’intrigue, tout malin qu’il est, a deviné que pour ma bouture d’églantier, j’ai tenu compte en premier lieu des enseignements de ma bouture de chêne qui avait échoué. Nous voici donc au printemps. Je suis armé de la même petite pioche que le coup d’avant, et je tente cette fois-ci de prélever un rejet d’églantier. Il est juste de l’autre côté de la clôture, je ne lui demande vraiment pas un grand voyage, mais j’aimerais l’avoir chez moi. Et j’aimerais pouvoir me dire, que cet églantier, là chez moi, est arrivé par ma main. C’est sans doute un peu de ce réflexe de propriétaire qu’ont les gens qui font des enfants.
J’ai pris toutes mes précautions. Mon petit déraciné, je lui ai fait un nid douillet, je l’ai nourri d’eau fraîche et même de l’amour qu’on peut proposer aux végétaux. Je lui ai offert un peu de ce soleil du printemps, il en faut, mais un peu d’ombre aussi aux heures déjà chaudes. Je ne veux pas avoir l’air de me vanter, mais je l’affirme devant Dieu et mes voisins, ma bouture était réussie. Elle a fait ses racines nouvelles dans son pot, elle a fait sienne la terre que je lui ai donnée. Tous les jours, je veillais sur mon petit églantier. Trop chaud, pas assez, de l’eau, du soleil, un peu moins, je le savais avant lui, je le sentais aussi bien que lui, je souffrais des mêmes soifs, je grandissais des mêmes joies. Je ne me prétends pas jardinier, mais tout de même, quand on s’applique, quand on a avec soi les encyclopédies, la science, et la faveur de la Providence, on peut faire des choses.
Je ne l’appelais déjà plus « ma bouture », mais « mon petit pied », mon « rosier sauvage » qui s’est laissé apprivoiser. À sa base, il avait ses petites feuilles vert foncé, déjà bien solides, et plus loin des feuilles vert tendre. Il avait pris des forces, il avait fait de grandes pousses qui débordaient joyeusement de son pot. Il avait toute la vigueur, toutes les promesses de la jeunesse, il ne demandait qu’à vivre. Il avait sur ses tiges les piquants de son espèce, mais avec moi, il était tout doux. De mon côté, je n’avais pas d’autre souci dans mon existence que d’être inquiet de lui, j’avais du temps, de l’eau, de l’ombre et du soleil à lui offrir. Nous devions traverser l’été ensemble, et c’était presque sûr, à l’automne il aurait sa place en pleine terre. Soyons fous, soyons ambitieux, l’été prochain, peut-être déjà des fleurs ?
Votre écrivain rêveur et fabuliste, inutile bien sûr, a tout de même un grand défaut, il ne sait pas mentir. Ici intervient le passage où je parle de mon chat. Nous sommes au printemps, je ne me soucie que d’un petit pot avec un jeune églantier. Le 20 juin, une catastrophe d’ordre très supérieur me tombe dessus. Un vrai problème, de quoi me faire oublier mon jardin. Je suis capable d’aimer les plantes, mais tout de même, un animal a la priorité. Le 20 juin, c’est la date exacte et je suis prêt à produire la facture du vétérinaire, mon chat a dû être opéré en urgence. Le 21 juin, c’est le premier jour de l’été, et cet été sera la première saison où je dois m’efforcer de sauver la vie de mon chat.
Je suis allé à l’école presque aussi longtemps que vous, ne me regardez pas de haut avec ce petit air pincé, on m’a appris à moi aussi à dire du mal des hors-sujet. Et pourtant… Chaque chose est à sa place dans cette histoire, c’est difficile à croire, mais rien n’est superflu, rien ne dépasse. Le titre annonce un églantier, et l’on peine à le voir venir, on perd un temps précieux avec mille détails, le dictionnaire d’abord, le chêne des garrigues ensuite, et maintenant un chat ! Le titre était sans doute trompeur, ou alors le dénouement nous réserve une compréhension inattendue à la dernière phrase ?
Mon chat blessé et opéré, il est de retour à la maison. J’ai alors cette injonction catégorique, de la part du vétérinaire, de veiller mon chat, de ne pas le laisser sortir de la maison : « le plus longtemps possible ». Il est retenu prisonnier, c’est pour son bien d’accord, mais c’est contre son gré. Hygiène d’un humain qui aime son chat, je décide que s’il ne peut pas sortir, je ne sortirai pas non plus. Je veux qu’il souffre le moins possible, je ne veux pas que le pauvre animal m’entende marcher librement à l’extérieur pendant qu’il est emmuré. L’été commence, et je suis enfermé chez moi avec mon chat.
Les caresses, les longues explications nocturnes, les exaspérations devant les portes closes, les miaulements et les agacements, les jeux et la litière, tout cela ne fait pas partie de l’histoire de mon églantier. Mon chat et moi, nous avons tenu cinq jours et presque cinq nuits. La cinquième nuit, il devenait fou et je n’en étais plus très loin moi-même. J’ai pris une des décisions courageuses de mon existence, je l’ai regardé, caressé, et je lui ai dit : « mon bon chat, tu veux sortir, je te comprends, j’ai fait ce que j’ai pu pour ton bien, maintenant je t’ouvre la porte, s’il te plaît, reviens vivant demain matin ! » Je lui ai ouvert, il a regardé trois secondes, interloqué, et il est sorti dans la nuit en trottinant. J’ai dormi aussitôt.
Le lendemain matin, mon chat était sur le pas de la porte, il est rentré et sorti gaiement, il était bien content de sa liberté retrouvée. Il n’avait pas l’air fâché d’avoir été séquestré. Il n’avait pas l’air non plus d’avoir rouvert sa blessure. Je me suis réveillé lentement. Et puis, content moi aussi de retrouver la liberté, j’ai profité de la lumière du matin dans le jardin.
Pendant cinq jours et cinq nuits, je n’avais pas pensé une seconde à ma bouture. Pendant tout le temps que j’ai passé à sauver le chat, de son côté, le petit pot avec l’églantier était à l’endroit le plus ensoleillé du jardin, tout ce temps sans une seule goutte d’eau, au début de l’été. Je l’ai retrouvé au matin du sixième jour, tout sec, les feuilles jaunes ou marron, les tiges raides. Si l’on peut éprouver du chagrin pour une plante, c’est bien ce qui m’est arrivé.
Les écrivains d’un autre siècle auraient dit : « zut ! » C’est ce mot-là que j’ai eu en tête. J’étais déçu et triste. Ma bouture qui était presque faite, mon petit miracle gratuit, mon églantier à moi, un jour prochain mes églantines, j’y croyais, à tout cela. Et le pied sec, honnêtement, on voit bien qu’il est mort.
Je contemple mon églantier mort, je me sens coupable de l’avoir oublié, c’est par ma négligence qu’il est tout grillé. Mais je regarde juste à côté, je vois mon chat vivant. Encore une fois, si un bel animal s’attache à moi, si j’ai un peu le sentiment d’avoir été utile à un gentil matou, le reste est très secondaire, les broussailles sont de moindre importance. Vous vous en doutez, si j’ai pris la peine de dessiner les tours et les contours de cette petite aventure dans mon jardin, c’est qu’il y a quelque chose dans ma conscience qui ne me laisse pas en paix. J’étais tout de même déçu. J’avais tout de même échoué. En cinq jours, j’ai fait mourir un être vivant. Ce n’était qu’un végétal, c’est entendu, mais c’était un être vivant, j’avais pris soin de lui, j’avais choisi de m’occuper de lui. Je n’ai pas été à la hauteur de mon arbuste. Et ce n’est pas tout, il se passe pire que cela dans ma mauvaise conscience, je m’en veux d’être déçu pour de la simple verdure, alors qu’à ce moment-là, je devrais être pleinement joyeux pour mon chat sauvé. Je ne devrais penser à rien d’autre qu’à mon animal, la brindille ne devrait même pas me préoccuper. Quand on a un ami véritable, on ne se soucie pas d’une paille.
C’est ici, enfin, que commence ma nouvelle. Vers qui, vers quoi se tourner quand on désespère, quand on a du remords, quand on ne peut pas se satisfaire de ce que l’on a sous les yeux ? C’est le tragique du printemps dernier et des cinq premiers jours de l’été dans mon jardin, et c’est le tragique d’un certain nombre d’humains dans un certain nombre de cas. Ce qu’il faudrait appeler « la réalité » ne nous convient pas, on veut voir autre chose, ailleurs, plus loin. Là devant moi, cette vérité, je la refuse. Je songe à un autre monde. Cela s’appelle à la fois du déni et de l’espoir. La bouture d’églantier sèche et grillée, après tout, si elle n’était pas morte ? Et si, en donnant après coup l’eau et l’ombre qui ont manqué à ma plante, je pouvais la sauver encore ?
Même la biologie la plus stricte est parfois indécise. D’un côté, la mort a mauvaise réputation, pour être franc, elle a la réputation d’être irréversible. D’un autre côté, la science du vivant reconnaît de manière officielle des choses assez miraculeuses, surtout dans le règne végétal, et ça s’est vu, des plantes déclarées mortes ont fini par repousser. Alors, je prends mon petit arrosoir, je mets ma bouture à l’ombre, je décide de ne pas perdre la foi et de refuser la mort de mon églantier.
Dans les premières semaines, il ne se passe rien. Du moins, rien de visible n’apparaît dans mon petit pot de fleur. Voilà une question de métaphysique, est-ce que le fait qu’il ne se passe rien de nouveau est plutôt bon signe ou mauvais signe ? Un changement, je saurais l’interpréter, mais l’absence de changement, dans une situation indécise, c’est la porte ouverte à la philosophie. Il faut faire le tri entre le déni et les raisons d’y croire. Arrivé à ce point, la science a la main qui tremble, elle n’est plus aussi sûre d’elle. Elle qui a longtemps affirmé tout savoir et de manière indiscutable, elle baisse les yeux, elle regarde ailleurs et elle soupire.
Plus tard dans l’été, mon pied ne se décide pas encore, il n’a pas choisi de se décomposer définitivement, il n’a pas choisi de reverdir. Et moi, audacieux, je tente un geste. Au sécateur, je le taille. Après tout, c’est une chose que l’on fait aux rosiers. Cela me remonte un peu le moral. Plus tard encore, des jeunes pousses de trèfle viennent dans le pot, mais l’églantier ne bouge pas. C’est joli, déjà, le trèfle, ça prouve que tout est encore possible. « Tant qu’il y a de la vie… » dit le proverbe, mais là, y a-t-il vraiment de la vie ? Y a-t-il vraiment de l’espoir ? D’autres proverbes, je le crains, disent aussi que les résurrections sont choses rares.
La science ayant fait place à la philosophie, celle-ci cède à son tour la place à une forme de mystique. Voilà le phénomène qu’on observe dans mon jardin cet été. Un homme qui n’est ni jardinier ni savant, qui aime un chat et des fleurs, un homme qui ne croit guère à la philosophie et aux religions, fait des allers-retours avec un petit arrosoir et des mauvaises pensées. Voilà encore ma conscience qui me travaille. Est-ce que je perds mon temps, est-ce que je me voile la face ? Je suis peut-être en train d’arroser de manière totalement improductive une herbe morte.
Une autre voix répond : Improductive », et alors ? « Morte », ce n’est pas à toi d’en juger… Je vais te dire ce qui se passe. Tu rends hommage à la dépouille d’une bouture que tu as aimée un mois ou deux. Mon petit bonhomme, il n’y a pas de mal. Et si te recueillir te fait du bien ? Et si tu aimes faire le geste de donner un peu d’eau au souvenir de ta plante et aux jeunes trèfles qui sont venus lui faire une couronne ? Après tout, il y a d’autres humains qui vont à la Toussaint fleurir des tombes. Ils savent très bien que leurs disparus ne vont pas ressortir de terre. Ils ne sont pas plus bêtes que toi.
Je continue donc, dévotement, à arroser mon petit pot, ce petit pot avec sa bouture dont personne ne sait si elle est morte ou vive. Cela ne sert peut-être à rien, mais je me sens humain. Un jardinier ou un botaniste auraient possiblement un avis, un théologien également. Mais je n’ai aucun de ces experts sous la main. Je dois me contenter de mon jardin, de ma clôture et de ce que j’ai appris à l’école. Ce qui m’intéresse, c’est que mon chat se porte de mieux en mieux, et moi aussi, car mon sentiment de culpabilité s’estompe.
Il faut me voir, moi le mécréant, avec mon petit arrosoir, avec ma petite bouche qui n’a jamais articulé des prières, ma petite bouche qui ne sait pas comment faire pour demander de l’aide au ciel, j’espère la résurrection, je n’ai aux lèvres qu’un rictus. J’ai l’impression de trahir les encyclopédies. Mais je fais ce geste presque sacré, j’arrose une herbe sèche. Imaginez qu’elle repousse, ma bouture ! Au printemps prochain, quelle joie ce serait ! Je fais mes allers-retours avec l’arrosoir, tout cela m’aide. Je commence à comprendre le sens du mot « rituel », et au-delà du mot, je commence à comprendre le rituel même. Avec le temps, j’en viens à me consoler tout à fait de ma peine. Après tout, mon chat est en bonne santé, cet été se déroule finalement très bien. Que l’églantier repousse au milieu de ses petits trèfles ou qu’il s’éteigne tout à fait, les deux solutions me conviennent. S’il est mort, j’ai gaspillé un peu d’eau de pluie. Mais un peu d’eau de pluie pour me reconstruire le moral, ma foi, c’est déjà une opération rentable. S’il revit, j’aurai presque fait une nouvelle pour rien, oh, tant pis, cela m’a fait plaisir quand même. Cela m’a occupé un peu et m’a donné l’occasion de passer du temps avec celui qui voudra bien me lire.
De toute façon, on ne sait jamais rien. Imaginez que mon églantier ressuscite, je ne saurai toujours pas si c’est grâce à l’eau ou grâce aux prières. Vous pouvez bien vous efforcer à ranger les livres de sciences et les livres de morale sur une même étagère, vous ne parviendrez pas pour autant à les faire dialoguer.
Dans cette nouvelle, pour faire le compte à la fin, il n’y a absolument rien de faux, rien d’inventé. Est-ce que c’est si grave de dire la vérité ? Est-ce que c’est si grave de dire ce à quoi on pense ? Le début a été très long, au milieu il ne s’est rien passé, et voilà que maintenant la fin s’éternise. L’ensemble est poussif, on se demande pourquoi l’auteur tient à nous maintenir en éveil en même temps qu’il semble nous pousser à dormir.
Cet écrivain rêveur et fabuliste, futile sans doute, il a tout de même réuni dans le même papier les acharnés de la science positive et les acharnés du divin impénétrable. On me le reprochera à coup sûr, d’un camp comme de l’autre, mais on ne m’empêchera pas d’être fier de mon papier. Peut-être même que les moins acharnés des deux camps, c’est-à-dire les moins bêtes, voudront bien m’accorder un sourire, et me reconnaître une certaine astuce. Finalement, je ne crois pas être si méchant. Et je crois même que je n’ai dit du mal de personne. Ce principe vital qui fascine les biologistes aussi bien que les religieux, est-ce qu’il est si différent ? Quand le prêtre suggère que « le Seigneur fait pour nous des merveilles », est-ce que le scientifique, de son côté, oublie sa capacité à s’émerveiller devant cette nature objectivée mais fascinante ?
Voilà le bilan, dans mon jardin, il ne s’est pas passé grand-chose, il s’est passé une chose banale : une tentative de bouture a échoué. Et je me laisse aller à ma faiblesse naturelle, à mon grand défaut, je bavarde, je ne sais pas me taire, je fatigue mon lecteur de tours et de détours assez présomptueux. Disserter est une vertu de philosophe, conclure est la force du sage. Il faut maintenant en finir. Si le même sentier est parcouru par un randonneur et par un pèlerin, il me semble à moi, qui ai été bercé d’athéisme, que le pèlerin invente une valeur qui n’existe pas dans la matérialité. Mais en grandissant, j’ai appris à laisser venir à moi le doute et la beauté, il faut être juste, le sentier a davantage de sens pour le pèlerin. Sa marche est plus heureuse qu’une simple randonnée. Je me dépêche de faire cette nouvelle avant d’avoir la réponse au printemps prochain, parce que la réponse, miracle ou poussière, le dénouement de l’intrigue, on s’en moque complètement, c’est la dernière des choses qui m’importe, ça ne ferait que perturber la fable. Je ne vais pas m’amuser à gâcher un beau mystère avec l’expression objective des faits.